Comme un tableau accroché depuis tant d’années que plus personne ne remarque, certains morceaux accompagnent nos journées, pénétrant des oreilles passives et peu attentives, comme un fond acoustique sans importance. À travers un paysage sonore parfois sans surprise, paraissait le 8 mai un album à part, plongeant son auditeur dans l’univers minimaliste des années 1970. Music for 18 Musicians, de l’Américain Erik Hall, réinterpréte l’oeuvre de Steve Reich. Que les oreilles étourdies s’abstiennent : cette oeuvre exigeante s’écoute méticuleusement, dans un état de pleine conscience.
Composée entre 1974 et 1976 par le musicien américain Steve Reich, Music for 18 Musicians est l’une des créations les plus importantes de la musique minimaliste, courant apparu dans les années 60 aux Etats-Unis, et qui regroupe des oeuvres fondées sur la répétition, d’une note ou d’un accord. Présentée pour la première fois à New York en 1976, cette pièce est immédiatement un succès, bien au-delà de la musique classique. Simplement composée de onze accords, la structure débute par la pulsation de deux xylophones, qui perdure toute la durée de l'oeuvre, comme un fil conducteur obsédant. Au coeur de cette écriture dénuée de tout artifice se fait ressentir l’influence du jazz modal, dont les morceaux So What de Miles Davis ou Africa de John Coltrane ont fait la renommée. Inspiré également par la musique balinaise, Steve Reich soigne chaque transition, écrite autour d’un “appel”, composé d’une note et de son octave jouées au vibraphone. Le compositeur pionnier crée ainsi, entre chacune des 14 parties — deux mouvements pulsatifs et 12 sections de musique modale —, une permanence dénuée d’interruption, comme un long morceau répétitif et presque infini.
Presque cinquante ans après sa création, le musicien américain Erik Hall s’est donc emparé de cette pièce historique et se substitue à chacun des musiciens, mêlant le piano, la guitare électrique et l’historique synthétiseur Moog, remplaçant ainsi les instruments classiques originels. Une prouesse technique que le musicien remplit avec brio, capable à lui seul de respecter la sensibilité de chaque voix. Il en découle cinquante-cinq minutes d’une écoute où répétition ne rime résolument pas avec ennui, notamment grâce aux nappes de synthétiseur qui s’alternent et se répondent comme un dialogue haletant. De quoi donner tort à Steve Reich lui-même, qui, jusqu’en 1997, se refusait à publier la partition de l’oeuvre.