Grimes - “So Heavy I Fell Through the Earth (Visualizer)”
L’intelligence artificielle s’apprête à remplacer les chanteurs. Et le réchauffement climatique détruit la planète un peu plus chaque jour… Dans un tel contexte, à quoi bon continuer à composer ? C’est la grande question que s'est posée Grimes en élaborant son nouvel – et dernier ? – album, en 2019. Miss Anthropocene est né ce 21 février, après des mois de teasings farfelus. Attendu comme le messie, cet opus se veut le déclencheur d’une nouvelle ère musicale. Disque conclusif adoubé par la presse avant même de voir le jour, il marque la fin du contrat qui reliait Claire Boucher – de son vrai nom – à la maison de disque 4AD. Que faut-il retenir de cette oeuvre “hybride”, mêlant mythologies ancestrales et réflexion sur le monde de demain ?
1. Teasings en série et attente démesurée
Miss Anthropocene associe misanthropie et l’anthropocène. Il faut donc marquer la liaison à l'oral. Grimes mêle l'aversion pour le genre humain à une notion controversée chez les scientifiques : l'anthropocène désigne l’ère au cours de laquelle l’humain a laissé une trace indélébile sur la Terre, notamment avec l’apparition du plastique et du développement de la chimie au XIXe siècle. Dans l’imagination de Grimes, Miss Anthropocene serait donc la déesse salvatrice du monde en proie au changement climatique. La Canadienne est “obsédée par le polythéisme antique”, comme elle le déclarait à Lana Del Rey en décembre 2019 : “J’adore comment les Grecs ou les Égyptiens ont vécu dans leur monde bizarre avec plein de dieux, qui représentaient tout et n’importe quoi”. N’importe quoi : c’est là où le bât blesse. L’idée de modeler un album entier autour des aventures apocalyptiques d’une déesse du plastique est pourtant loin d’être stupide. Encore faut-il assumer ses ambitions.
“Mon album est une démonologie moderne, dans lequel chaque chanson parle d’une façon différente de souffrir ou de mourir.”
Entre rêves de pop star et expérimentations futuristes, Grimes se serait-elle définitivement perdue ? Après avoir forgé un tel univers autour de son nouvel opus, difficile, finalement, de savoir à quoi s’attendre. Claire Boucher n’en est pas à son premier virage stylistique. Après avoir émergé sur la scène montréalaise en 2010 en tant que nouvelle icône du do-it-yourself avec Halfaxa, elle était rapidement devenue l’une des figures les plus intéressantes de sa génération, aux côtés de Björk ou FKA twigs. En 2015, Art Angels, plus pop et plus accessible, déçoit ses fans. La chanteuse elle-même a estimé que cet album devenu “une tache dans sa vie” était “de la merde”. De quoi définitivement brouiller les pistes pour la suite.
Grimes - 4ÆM (Performance Video)
2. Le retour de la dreampop
Malgré ses promesses de renouveau, force est de constater que Miss Anthropocene est un album résolument pop. À la fois stellaires et soignées, certaines compositions, sublimées par des voix éthérées, demeurent saisissantes. So Heavy I Fell Through the Earth (Art Mix), qui ouvre le disque, fige le temps, une épopée onirique de six minutes. D’une extrême densité, le morceau se démarque par des chants haut perchés.
La première moitié du disque conserve la même force que son morceau introductif. Suivent les titres Darkseid, Violence ou encore 4AEM, que le public connaissait déjà. Tous font la part belle aux accents dreampop de Art Angels, que la chanteuse avait pourtant férocement rejeté. Certains invités de ce précédent opus reviennent sur Miss Anthropocene, comme Pan Wei-Ju, poètesse basée à Taipei, qui chante en cantonais sur Darkseid. Violence, produit par i_o, reste quant à lui l’un des morceaux les plus entraînants du disque. Avec des paroles répétitives, il décrit une relation abusive dont on ne saurait dire s’il s’agit d’un couple toxique, ou du rapport entre les humains et la Terre.
Grimes & i_o - Violence (Official Video)
3. Pop éclectique
De My name is dark (Art Mix) à You’ll miss me forever when I’m not around, Grimes s’enfonce dans des compositions pop aux structures de plus en plus classiques, de moins en moins dynamiques. Delete Forever fait figure d'OVNI avec sa ballade rythmée par une simple guitare acoustique, un titre qui fait référence aux albums de pop-rock emo du début des années 2000.
L’âme qui donnait son énergie des singles déjà sortis disparaît donc à mesure que Miss Anthropocene, au profit d'une musique plus intimiste. “Mon album est une démonologie moderne – comprendre : l’étude des démons –, dans lequel chaque chanson parle d’une façon différente de souffrir ou de mourir.” Mais peut-être que l'album se suffit à lui-même et mérite une écoute sans explication de texte.