Fondatrice du label 99cts Records, Aurore Dexmier, alias Miley Serious, secoue la scène électronique française avec un tumulte post-punk aussi singulier que turbulent. Originaire de Toulouse, elle est aujourd'hui installée à Paris et peut se vanter d'être l'une des DJ les plus en vogue de la capitale, entre festivals et soirées quasi hebdomadaires dans des lieux alternatifs. Sur les traces de Miss Kittin, maestro de l'électroclash des années 2000, Miley Serious détone et propose une techno bourrée de références acid-house. Une heure avant son set sur la scène de la Adidas House, Numéro a pu la rencontrer dans les backstages de la Peacock Society.
Numéro : Miley Serious, on saisit tout de suite la référence. Pourquoi avoir choisi un tel pseudonyme ?
Miley Serious : Alors pourquoi Miley Serious… En gros, j'avais un projet avant, je mixais en duo et on a dû s'arrêter. Quand j'ai voulu reprendre, cette fois-ci tout seule, il fallait que je me trouve un petit nom. C'était à l'époque où la pop mainstream inondait les radios et les news. Dont Miley Cyrus, et ses provocations médiatiques. Du coup Miley Serious, c'était pour la petite blague, tout simplement.
Votre musique est pourtant bien plus tonitruante que celle de la pop star américaine…
En fait, ça correspond bien à ce que je peux jouer. Ma musique est beaucoup plus noire, plus profonde. Finalement, mon nom de scène la reflète plutôt bien. Mais à la base je n'y avait absolument pas pensé. C'était simplement une blague, sans connexion ou sens caché.
D'ailleurs, comment êtes-vous arrivée sur la scène techno ?
Je viens du courant punk et post-punk. J'ai d'ailleurs été dans des groupes la majeure partie du temps. Puis, j'ai commencé à jouer de la musique électronique il y a environ 10 ans. C'est vraiment venu comme ça, juste par curiosité.
“Mes inspirations ne proviennent pas forcément de ce que je joue. Elles viennent plutôt des villes où la culture naît.”
DJ set de Miley Serious pour Rinse France.
Et pourquoi avoir choisi la techno, plutôt que le punk ?
Tout est plus ou moins lié. Il y a de la techno qui entre dans une vibe plutôt acid ou industrielle, et de la techno très proche des courants punk. Tout cela fait partie de la subculture underground, et on y retrouve des références dans chacun des genres. La techno est en fait très large. Elle puise dans l'acid et l'électro de Détroit, dans des choses beaucoup plus sombres, qu'on finit par retrouver un peu partout.
Quelles sont vos inspirations et vos influences ?
Mes inspirations ne proviennent pas forcément de ce que je joue. Elles viennent plutôt des villes où la culture naît. Je répondrais plutôt Chicago, New York, ou Manchester pour la musique acid.
Parmi les artistes ou alubms du moment, quels sont vos petits favoris ?
Là en ce moment j'écoute en boucle l'album d'un artiste américain qui s'appelle Cafe Water. C'est de l'électro mélangée à de la post-punk, donc vraiment tout ce que j'aime.
Et à la Peacock Society, qui êtes-vous venue voir ?
En fait, c'était surtout hier qu'il y avait beaucoup d'artistes que je voulais voir. Notamment Not Waving, un DJ que j'aime vraiment beaucoup. Et ce soir, je viens voir une légende. Richie Hawtin. D'ailleurs je m'identifie particulièrement à lui dans ses débuts, surtout pour son côté rave. Et maintenant j'ai envie de voir ce que ça donne, en 2018.
“Moi je fonce tête baissée, en me disant constamment ‘peu importe ce que je pense les gens.’”
En général, le public associe la musique techno à la gente masculine. Que pensez-vous de la place des femmes dans le monde de la techno ?
La masse générale peut penser que la musique techno est trop agressive pour une femme, mais en fin de compte, je ne me suis jamais posé la question sur la différence du genre dans ce milieu. Pour ma part, j'ai énormément évolué dans la musique électronique grâce à la communauté LGBT. C'est pour ça que je n'ai jamais médité quant à ma place dans la techno face aux hommes. Ce n'est pas que je ne sais pas quoi répondre quand on me pose ce genre de question, c'est juste que c'est naturel, voire logique. Il n'y a aucune différence. C'est un milieu ouvert, qui accepte tout le monde. Du coup, je ne pointerai jamais du doigt le fait de produire de la musique techno, en tant que femme. On a totalement notre place dans ce genre, autant que n'importe qui. Dans le monde la musique, en général, c'est là où on peut s'extirper. Moi je fonce tête baissée, en me disant constamment “peu importe ce que je pense les gens”.
L'artiste productrice canadienne Grimes a récemment dit dans une interview qu'il était difficile d'être productrice aujourd'hui…
Avec toutes les polémiques qui surviennent en ce moment, j'imagine que oui, c'est difficile. On a à faire à tellement de choses, surtout quand tu délaisses tout pour te consacrer à la musique… que lorsque les injustices s'immiscent, c'est clair que ça rend l'accomplissement plus difficile. Mais il ne faut pas croire, il y a aussi des injustices entre les femmes, même au sein de l'industrie de la musique électronique. C'est une industrie difficile pour tout le monde. En général, c'est le business qui prime.
“Je suis une DJ à l'ancienne, je me contente de diffuser de la musique, je n'en produit pas moi-même.”
Miley Serious en B2B avec X-Coast.
Peut-on parler d'un système de starification, avec des artistes marketés comme Nina Kraviz ou Amelie Lens ?
Oui bien sûr. Mais Nina Kraviz est, pour sa part, très cultivée et peut se vanter de son parcours. Pour elle, c'est totalement légitime de se marketer de la sorte. Contrairement à Amelie Lens ou Charlotte de Witte,pour lesquelles le marketing n'est absolument pas fondé. Nina Kraviz, elle, privilégie toujours les petites scènes, tout comme Ellen Allien. Toutes deux ne délaissent pas le côté digger. Leurs sets sont toujours pointus, très travaillés, très éclectiques. Elles m'inspirent beaucoup, je fais souvent des références à ces deux DJ dans mes propres sets.
Et qu'est-ce que cela vous fait de jouer à la Peacock Society, aux côtés d'aussi gros noms de l'industrie de la musique électronique ?
C'est d'abord un honneur, qui plus est qu'il s'agit du plus gros festival pour lequel je vais jouer. La fosse n'est cependant pas la plus grande, mais cela reste tout de même impressionnant de jouer pour une foule de plus de 10 000 personnes.
Après la Peacock Society, quels sont vos prochains projets?
Faire avancer mon label, 99cts Records, comme toujours. Aucun EP à l'horizon puisque je ne produis pas, et je ne produirai pas. Je suis une DJ à l'ancienne, je me contente de diffuser de la musique, je n'en produit pas moi-même. Quand j'étais dans des groupes, oui, là je produisais. Le dernier groupe d'ailleurs dans lequel j'ai joué s'appelle Olympic. Un groupe qui demeure encore aujourd'hui très cher à mon cœur et qui le restera.