Il est 11 heures lorsque Jorrdee nous accueille dans le décor printanier de l’Hôtel du Temps, à Paris. Enveloppé dans une tenue immaculée, la mine encore endormie, le jeune homme nous interroge : “Ça vous dérange si je m’allonge ?” L’interview commence, et prend d’emblée la tournure d’une véritable séance de psy. Pour répondre à nos questions, Jorrdee, étendu sur le divan, les yeux rivés vers les cieux, n’hésite pas à plonger dans ses souvenirs les plus lointains. “À l’école, j’étais le seul black de ma classe, confie-t-il. Mon prof était allemand, un peu tortionnaire, et j’ai passé une bonne partie de mes récréations à être puni. À la fin de l’année, il a sorti toutes mes punitions et il m’a dit : ‘Ça, ça promet pour l’avenir Monsieur’".
Dans la vie comme dans ses textes, Jordan (de son prénom) est un être entier, qui n’a pas peur de livrer ses états d’âme. Actif depuis 2012, il façonne une musique obscure et mélancolique, sur laquelle il deverse ses tourments, affronte ses vieux démons. “Je mets toujours tous mes sentiments, toute ma personne dans ma musique, affirme-t-il. Ne donner qu'une partie de soi-même, c'est vouloir donner une image.” Musicalement, l’univers de Jorrdee est impossible à cerner, tant s’y confond l’infinité des genres qui ont bercé sa jeunesse : la variété française chérie par sa mère, le zouk et le dancehall, la techno diffusée par Radio Espace, mais aussi et surtout le rap, adoré par son père. “C'est lui qui m'a initié à cette musique, relate Jorrdee, mais un peu malgré lui. Disons qu’il n’a pas cherché à me transmettre ça. Lorsqu’il est parti, je ne crois pas qu'il avait conscience que j’allais devenir ce que je suis devenu.”
“Je pense qu'il y a beaucoup d'artistes
qui se sentent condamnés dans l’industrie musicale actuelle”
Pourtant, lorsqu’on l’écoute, le son de Jorrdee n’a pas grand-chose à voir avec le rap. Sur son second album Avant, qui sortira le 14 avril 2017, le Lyonnais chante d’une voix autotunée à la fois douce, aïgue et plaintive, que certains comparent déjà à The Weeknd. Sa diction n’est pas toujours compréhensible, mais elle réussit constamment à nous emporter dans les méandres de ses pensées emmêlées, où les femmes, les billets et la drogue coexistent en une parfaite trinité. “Je ne pense pas que le rap soit vraiment mon truc finalement, déclare-t-il. J'ai été dedans à cause de mon père, mais… c’est un peu comme une entreprise familiale : tu la reprends, tu fais semblant de kiffer un peu, et puis tu finis par en faire autre chose. C'est ce que je suis en train de faire. J’expérimente. Et je crois que j’expérimenterai toute ma vie.”
Conscient de créer une musique mouvante, qu’il a lui-même du mal à définir, Jorrdee fait partie de ces artistes insaisissables qui n’attendent rien de leur création, si ce n’est que celle-ci leur permette de s’exprimer de façon libre, indépendante et singulière. “L’idée, c'est vraiment d'explorer toutes les facettes des sentiments, tous les genres musicaux... c'est la liberté en fait !, s’exclame-t-il. Je ne fais pas de la musique pour me sentir enchaîner à un personnage ou à un style. Je fais de la musique pour me sentir libre – et il n'y a pas grand-chose qui soit encore capable de nous offrir ça de nos jours. Je pense qu'il y a beaucoup d'artistes qui se sentent condamnés dans l’industrie musicale actuelle. Moi, je ne vais pas faire de ma passion une prison.”
L’album Avant de Jorrdee est disponible à partir du 14 avril 2017.
Jorrdee - “Arrête”