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30 La britpop : histoire d’une culture menée par Blur et Oasis

La britpop : histoire d’une culture menée par Blur et Oasis

MUSIQUE

Depuis la fin des années 90, l’industrie musicale attend le grand retour de la britpop, ce sous-genre du rock – mené par Blur ou Oasis – qui a marqué l’histoire du Royaume-Uni. Découvrez l’histoire d’un genre qui a grandement impacté la culture pop.

  • Blur, en 1993

    Blur, en 1993 Blur, en 1993
  • Elastica, en 1995

    Elastica, en 1995 Elastica, en 1995
  • Suede, en 1994

    Suede, en 1994 Suede, en 1994
  • Oasis, en 1994

    Oasis, en 1994 Oasis, en 1994
  • Pulp, en 1995

    Pulp, en 1995 Pulp, en 1995
  • Sleeper

    Sleeper Sleeper
  • Lush, en 1994

    Lush, en 1994 Lush, en 1994
  • The Verve

    The Verve The Verve
  • Echobelly

    Echobelly Echobelly
  • Radiohead

    Radiohead Radiohead
  • Saint Etienne

    Saint Etienne Saint Etienne

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I.         Un désir de grandeur made in Britain  

  

“Tous les grands artistes pop britanniques, des Beatles à Fall, ont célébré la Grande-Bretagne d'une manière ou d'une autre. Je ne suis pas du tout attiré par New York. Je veux dire, les rues sont disposées en quadrillage. Cela ne dit-il pas tout ?” crache Brett Anderson, leader du groupe Suede, dans les colonnes du magazine Melody Maker en 1992. A l’époque, un blond charismatique au look négligé du nom de Kurt Cobain secoue l’industrie musicale en imposant le grunge à la terre entière aux côtés de sa blonde peroxydée au maquillage coulant, une certaine Courtney Love. En Angleterre trois artistes saturent du phénomène. Ils s’appellent Justine Frischmann, Brett Anderson et Damon Albarn, et fréquentent les bancs des écoles d'art du sud de l'Angleterre. Ils sont jeunes et beaux, jouent dans les mêmes clubs miteux à Londres et n’ont qu’un seul mot à la bouche : remettre la scène anglaise au sommet des charts mondiaux.  

   

Inspirée par des groupes comme The La's ou les Stones Roses, la domination musicale britannique perd son statut d’utopie dans la tête de nos trois compères pris au piège d'un triangle amoureux. Après avoir quitté le groupe Suede et son leader Brett Anderson, Justine Frischmann emporte cette idée avec elle lorsque forme le groupe Elastica aux côtés du batteur Justin Welch. De son côté, Damon Albarn, leader du groupe Blur depuis 1989 suivra l’idée de Justine Frischmann pour le deuxième album du groupe, Modern Life Is Rubbish (1993). Cet opus critique l’homogénéité de l’industrie musicale de l’époque – notamment dans le single Popscene – et annonce l’arrivée d’un nouveau genre du rock alternatif, la britpop.  

”Popscene” - Blur, 1993

Ce brassage d’influences musicales se hisse directement en tête des charts. Le sentiment d’unité nationale prend forme à Glastonbury ou Knebworth où le public chante à l’unisson lors de gigantesques concerts en plein air. Les paroles simples, conscientes et pleines d’esprit, les rythmes énergiques font danser tout le monde, la britpop propose un nouveau regard enthousiaste sur la vie des citoyens britanniques modernes. En concert, dans les bars, ou dans les rues, les refrains et couplets des chansons se reprennent à la façon d’hymnes auxquels la jeunesse peut s’identifier. Si bien que The Verve intitule son troisième album Urban Hymns. On y retrouve le titre Bitter Sweet Symphonyconsidéré comme l’une des meilleures chansons de tous les temps par le magazine Rolling Stone.  

II.         La culture britpop, apogée du normcore et soft power anglais  

  

Sans aucun nom au départ, la britpop doit son appellation aux médias britanniques. Ces derniers ont accompagné l'évolution du genre et sa transformation en un phénomène socioculturel. Une culture se forme autour du mouvement dès 1994, lorsque Blur explose avec l’album Parklife et qu’Oasis sort son premier opus, Definitely Maybe. En racontant l’ambiance de l’Angleterre actuelle où il n'y avait pas grand-chose à faire pour les jeunes à part boire, fumer, sortir et écouter de la musique, ces albums mettent un coup de projecteur sur un autre mode de vie. En repoussant le Thatchérisme des années 80, la britpop apparaît comme un souffle nouveau pour le Royaume-Uni des années 90 et sa jeunesse. Contrairement aux années 80 qui rejettent l’identité nationale, les années 90, elles, font preuve d’un grand patriotisme : Union Jack sur les t-shirts et les guitares (comme celle du mancunien Noel Gallagher), chants incontournables truffés de détails sur la vie des anglais de la classe moyenne (comme Sunday Sunday ou Parklife de Blur), clips vidéo à l’esthétique british, accents régionaux reconnaissables à l'oreille, etc. 

  

Après la mort de Kurt Cobain et le déclin du grunge en 1994ce qui est anglais est désormais synonyme de cool. Ainsi, le culte de la britpop s’implante dans l’inconscient d’une population qui s’est réappropriée la fierté britannique et met en avant une classe marginalisée : la classe ouvrière. Avec cette nouvelle vision de l’Angleterre transmise dans la musique, des sous-cultures apparaissent : l’antiracisme, le féminisme ou la lad culture, une caricature machiste, bruyante et arrogante du jeune homme anglais qui refuse tout avancement progressiste. Problème, cet archétype entre en conflit avec l'idée de la britpop, représentation de la population britannique dans toute sa diversité. Ainsi, de nombreuses féminines telles que Louise Wener de Sleeper, Miki Bereyni de Lush, Sonya Madan d’Echobelly parviennent à détourner les codes de cette fameuse lad culture.  

”Stutter” - Elastica, 1995

Surmédiatisés, les artistes britpop sont partout. En 1995, le phénomène est à son apogée. Blur sort son quatrième album, The Great Escape et Oasis dévoile What’s The Story ? Morning Glory d’Oasis, considéré cette fois par les magazines TIME et Rolling Stones comme l’un des meilleurs albums de tous les temps. On reconnait l'atmosphère rustique du nord de l'Angleterre dans les clips lorsque l’accent de Manchester de Liam Gallagher donne tout son caractère au son d'Oasis. Cette esthétique simpliste des frères Gallagher rompt avec l’esthétique artistique et travaillée de Blur : Damon Albarn chante avec l'accent Cockney – accent du sud de Londres – dans des clips qui évoquent une image artificielle de la ville. À travers elles, c’est deux conceptions de l’Angleterre qui sont exposées, le sud face au nord. Autrement dit, la classe moyenne face à la classe ouvrière.  

 

Blur annonce la sortie de son titre Country House le même jour que le Roll With It d’Oasis pour le plus grand bonheur des médias qui évoquent “The Battle of Britpop”. Jamais on n’avait revu une telle rivalité dans l’industrie musicale depuis les Beatles et les Rolling Stones. Les groupes vont alimenter cette histoire à coup d’interviews et apparitions publiques où l’un charrie l‘autre : si Blur utilise l’imagerie de la classe ouvrière et de la lad culture, aucun des membres n’a baigné dans celles-ci, ils sont tous issus de la classe moyenne. Quant aux frères Gallagher, ils incarnent la lad culture et définissent – avec arrogance – Oasis comme le plus grand groupe au monde. Blur sort vainqueur de cet évènement en vendant 50,000 copies de plus qu’Oasis (270,000 contre 220,000). L'opposition des classes sociales qu’incarne les deux groupes montre une vision fallacieuse de l'Angleterre, poussée au grotesque durant cette “Battle of Britpop. Cet aspect hypocrite de la société britannique, reposant sur une vision gentrifiée de la culture ouvrière, se reflète alors dans la britpop elle-même : la classe ouvrière est utilisée pour des fins esthétiques tout en étant quotidiennement ignorée. Ce phénomène sera intelligemment dénoncé à travers l'album Different Class de Pulp, et notamment avec le single Common People.

Août 1995, Blur et Oasis, mastodontes de la britpop, sont omniprésents au Royaume-Uni. Août 1995, Blur et Oasis, mastodontes de la britpop, sont omniprésents au Royaume-Uni.
Août 1995, Blur et Oasis, mastodontes de la britpop, sont omniprésents au Royaume-Uni.

III.  Dernier grand genre musical ou seconde British Invasion ?  

  

L'ère britpop s’achève dès 1997. Elle laisse une trace non-négligeable dans l’univers économique et sociologique britanniqueEn cristallisant une nouvelle idée du rock et du Royaume-Uni dans la culture populaire – ce qui n’avait plus été réalisé depuis le mouvement punk –, le genre est devenu l’un des derniers phénomènes de l'histoire de la musique. Alors que la British Invasion des années 60 consistait à vendre le pays à l’étranger pour exporter son image à l’international, la britpop consistait à vendre le pays à sa propre nation. Dans ce contexte particulier, la jeunesse britannique a joué un rôle en faisant de la britpop le symbole d’une Grande-Bretagne en pleine renaissance culturelle et de Londres la “capitale la plus cool du monde” à l’étranger, selon le magazine Newsweek

 

Dans un pays où la musique occupe une place centrale dans la culture, la britpop s’est étendu hors de son domaine principal en touchant la mode, les arts visuels grâce aux Young British Artists, ou encore la politique. La britpop s’empare aussi du cinéma grâce au film mythique de Danny Boyle, Trainspotting. Adapté du roman éponyme d'Irvine Welch, Trainspotting reste pertinent culturellement parlant, de la conception des costumes par Raechel Fleming à sa bande originale 100% britpop – réunissant des groupes phares de l'époque aux côtés des légendes Lou Reed et Iggy Pop – considérée par le magazine Pitchfork comme la 3ème meilleure bande originale de tous les temps, le film continue de toucher des générations de spectateurs et de créatifs.  

 

L'impact de la britpop se distingue aussi par le retour des pièces iconiques – mom jeans, chapeau bob, veste oversized, tracksuits, chaussures chunky Fila et Buffalo, converses, polo Fred Perry, robes à bretelles “spaghetti”, parka, crop-tops… – et caractéristiques de la décennie dans les récentes collections de Vetements, Celine ou Gucci par Alessandro Michele. Étroitement lié à la tendance heroin chic – look popularisé par le top model Kate Moss –, le style britpop crée, à l’instar du style grunge, un nouvel archétype du cool. En mixant le vestiaire sportwear des années 80 à la mode éthique des friperies, il prouve que les goûts musicaux influent sur nos modes de vies. 

”Champagne Supernova” - Oasis, 1995

Dernière représentation d’une époque pré-internet, les années 90 perdurent dans le temps entrainant avec elles la britpop. Dans une époque en manque d’identité distincte, les artistes rocks actuels s'inspirent du passé dans leur musique… sans réussir à créer un son nouveau, fédérateur et caractéristique contrairement aux artistes britpop. Qu’ils continuent de naviguer hors du genre pour faire évoluer la musique comme Damon Albarn – à l’origine des groupes Gorillaz et The Good, The Bad and The Queen – et Jarvis Cocker, ou restent dans la continuité de ce qu’ils ont créé comme Brett Anderson et son groupe Suede en tournée internationale pour les 20 ans de l’album Coming Up sorti en 1996 dès 2021, les artistes britpop sont devenus des icônes de la musique et du rock et fascinent encore une partie du public et médias. 

 

L’an dernier, la chaîne Arte fêtait les 25 ans du premier album du groupe Oasis, Definitely Maybe, en diffusant le documentaire de la boîte de production américaine A24, Supersonic, qui retrace la création et les débuts d’Oasis jusqu’au concert iconique du groupe donné à Knebworth en 1996. Preuve de l'importance de l'héritage laissé par la britpop et ses artistes, le dernier album de Liam Gallagher, MTV Unplugged, est devenu l’album vinyle vendu le plus rapidement de l’année au Royaume-Uni.