Lorsqu’elle s’avance à notre rencontre, dans la salle aux boiseries dorées de sa maison de disques française, Because, Lolo Zouaï porte un tee-shirt à l’effigie du FBI, un blazer en cuir noir et d’impressionnantes cuissardes qui lui donnent un air dangereux et sulfureux. Mais sa chevelure rose, sa couette haute et son large sourire racontent une tout autre histoire : celle d’une poupée pop échappée d’un manga kawaï délirant. En pleine Fashion Week parisienne, la jeune fille est enjouée. Elle n’en revient pas de courir autant de défilés et en parle avec des étoiles plein les yeux. Elle s’extasie sur les petites jupes des années 60 aux teintes acidulées et les shorts de boxe qu’elle a repérés chez Dior, et évoque aussi avec enthousiasme d’autres silhouettes aperçues chez Coperni, Loewe ou encore Acne Studios. “Après un an à ne rien pouvoir faire à cause du Covid, j’ai tellement envie à présent de profiter de ma jeunesse, de ma carrière et de voir le plus de belles choses possible”, se réjouit-elle. Aujourd’hui, Lolo Zouaï est en effet une artiste établie dont on s’arrache la présence solaire sur la scène pop. Appréciée par Billie Eilish et Grimes, elle a également travaillé avec Blood Orange, H.E.R. ou encore Myth Syzer, et s’apprête désormais à tourner avec Dua Lipa et Caroline Polachek en Europe et aux États-Unis. Pour l’occasion, elle compte non pas sur une botte secrète, mais sur une paire… montante, blanc et rose, cocréée avec Christian Louboutin : des “Loloboutin”, en quelque sorte.
Il semble aujourd’hui bien loin le temps où Lolo Zouaï chantait, sur High Highs to Low Lows – le tube qui l’a révélée en 2017 : “Fake gold on my hoops, real rips on my pants/ They think it’s all Gucci, but it’s 99 cents.” (“Du toc sur mes créoles, de vraies déchirures sur mon pantalon/ Ils pensent que c’est du Gucci, mais ça a coûté 99 centimes.”) Un titre qui n’est que l’exact reflet de son existence de l’époque, lorsque la chanteuse, installée à New York, pouvait, au cours des mêmes vingt-quatre heures, danser dans une soirée somptueuse aux côtés des stars de L.A., pour rentrer ensuite, telle Cendrillon, passer la nuit dans sa minuscule chambre de Brooklyn. C’est aussi à cette période que, alors qu’elle portait un tee-shirt acheté un dollar dans une friperie, un clubbeur lui demanda de quel créateur il s’agissait… Un rêve américain en demi-teinte qui avait pour tant commencé comme un conte de fées… Née à Paris, c’est à l’âge de trois mois que la petite Lolo Zouaï est arrivée aux États-Unis, via un coup de pouce du destin : ses parents gagnent à la loterie la tant convoitée green card. La jeune Franco-Algérienne grandit dans l’ancien quartier hippie de San Francisco, puis à Nashville avant d’atterrir dans la Big Apple, sa ville de coeur, où elle alterne les cours de songwriting dans une école de musique et les petits boulots. Le jour, l’artiste en devenir plie des vêtements dans une boutique, prépare les milk-shakes dans un restaurant de burgers et cuisine des sushis vegan. Et le soir, elle écrit des chansons douces-amères inspirées par le rappeur californien Too $hort, par la mélancolie des chanteuses françaises des sixties (Françoise Hardy, Brigitte Bardot…) et le R’n’B des années 90-2000 (Brandy, Aaliyah…). C’est en postant ses productions sur Internet, en 2017, que sa voix suave et poétique va devenir l’une des plus prisées de sa génération. Une voix dont elle connaît le pouvoir d’enchantement, comme elle nous l’avouait à ses débuts : “Mon animal totem, c’est le Pokémon Rondoudou, parce qu’elle endort les gens en chantant avec sa voix toute mignonne, mais ensuite elle devient méchante. Un peu comme ma musique, c’est de la sorcellerie douce.”
Ce qui frappe également dans les nouveaux morceaux de l’icône R’n’B, c’est la distance prise avec la neurasthénie de ses débuts. “Je n’avais plus envie d’écrire des chansons tristes. Mes nouveaux titres sont plus fun, j’y instille de l’humour et du décalage. Sur Scooter, par exemple, je raconte que je vais voir un garçon dans Paris, un peu éméchée, et j’ai une attitude badass, comme si j’étais sur une Harley… sauf que je suis à trottinette !” Le déclic est venu il y a un an quand, après un gros coup de blues causé par le report, en pleine pandémie, de sa tournée avec Dua Lipa, la chanteuse découvre les antidépresseurs et les séances de psy. “Il ne faut pas diaboliser la santé mentale. Au début, je ne voulais pas prendre de comprimés. Sauf qu’en fait je ne réalisais pas à quel point j’étais déprimée, à longueur de temps. Je mettais une heure le matin pour me préparer un café. Je pensais que c’était normal et qu’en faisant du sport, ça irait. J’ai perdu un temps considérable à me sentir fatiguée et à essayer de combattre les mauvais feelings. Depuis que j’ai accepté cette aide, je suis ultra créative. J’ai plein d’idées et j’écris un tas de morceaux…” La nouvelle Lolo Zouaï pourrait bien dérouter certains de ses fans dévoués, les “Lo-Riders”, qui voient en elle un être vulnérable et éthéré. Dans le clip de Galipette, la chanteuse, ultra maquillée, sourit de manière diabolique, laissant entrevoir des dents argentées dans une moue inquiétante, évoquant autant Harley Quinn qu’un rappeur turbulent. Cette féminité mutine et dangereuse – dans cette vidéo, Lolo Zouaï pratique la boxe, tout comme elle le fait dans la vraie vie – lui va comme un gant. Sur ce titre sexuellement explicite, on peut l’entendre chanter que si elle fait des galipettes “dans sa petite jupette”, ce n’est pas pour qu’on la regarde. Une façon de dire : “Tu me veux, mais tu ne m’auras pas…”, qui inscrit Lolo Zouaï dans la lignée des grandes pop stars féministes telles que Gwen Stefani et Beyoncé. Autant dire que pour son prochain album qui devrait éclore au printemps, l’intrépide chanteuse, désormais exilée à Los Angeles et qui roule en Tesla, est attendue au tournant.
