Le 18 mars, sur la page Facebook de Manu Dibango était publiée la nouvelle : l'hospitalisation à l'âge de 86 ans du célèbre musicien, atteint par le coronavirus. Ce matin, moins d'une semaine plus tard, ses proches pleurent le départ de ce colosse de la musique africaine, décédé à Paris. Derrière celui que ses fans surnomment “Papa Manu” ou encore “Papy Groove”, soixante années d’une carrière dense.
Emmanuel N’Djoké Dibango, de son vrai nom, naît un hiver de 1933 à Douala au Cameroun. En 1949, il part en France poursuivre ses études secondaires. Il a alors 16 ans. Ici commence son initiation à la musique : mandoline, piano, orgue Hammond, saxophone, Manu Dibango touche à tout. En colonie de vacances, il se lie d'amitié avec un autre Camerounais d'origine à peine plus âgé que lui, Francis Bebey, avec lequel il découvre les standards du jazz et joue au sein d'un trio. Après son échec au bac, privé de ressources, Manu Dibango se tourne vers la musique pour gagner sa vie. Il déménage en Belgique où il joue dans les orchestres, clubs privés et cabarets de Bruxelles, Anvers et Charleroi. Au contact des cercles congolais présents en Belgique, son jazz s’africanise notamment lorsqu’il commence à jouer pour l'artiste-compositeur engagé “Grand Kallé” qui lui propose une place de saxophoniste au sein de l'African Jazz, l'orchestre qu'il dirige. Avec le titre Indépendance Cha Cha (écrit en 1960 par Grand Kallé), l'African Jazz fera un tabac dans plusieurs pays d’Afrique – alors en pleine guerre de décolonisation – en particulier au Congo où l'orchestre débutera une tournée en 1961.
Manu Dibango - “Soul Makossa” (1973)
Récusant toute frontière entre les genres musicaux, Manu Dibango forge un style qui fusionne l’afrobeat de Fela Kuti, le jazz de Duke Ellington, le funk de James Brown et les percussions africaines : le world jazz est né. La richesse de la palette musicale de ce multi-instrumentiste l’amène à jouer pour Dick Rivers, à diriger l’orchestre de Nino Ferrer, à accompagner Serge Gainsbourg et à enchaîner les collaborations à l’international avec les plus grands noms : Bob Marley, Sting, Herbie Hancock, Mike Brant, Angélique Kidjo, Papa Wemba ou encore Charles Aznavour. Son titre Soul Makossa (1972), hymne écrit en soutien de l’équipe de football du Cameroun pour la Coupe d’Afrique des Nations, le consacre parmi les références incontournables de la musique africaine. Ce morceau sera même plagié et pas par n'importe qui : un sample du titre est repris, sans autorisation ni mention de l'auteur, par un certain Michael Jackson dans le morceau Wanna be Startin’ Somethin’ qui inaugure l'album Thriller (1982) ! Le procès intenté par Manu Dibango se solde par un arrangement financier. Plus récemment, Rihanna elle-même l'a repris dans Don’t Stop the Music (2007)… après un coup de semonce judiciaire, elle créditera l'auteur original…
Outre le musicien de talent qu’il est, Manu Dibango est reconnu pour ses engagements. En 2004, l’Unesco le nomme artiste pour la paix pour ses diverses luttes : contre la faim dans le monde, mais aussi pour la libération de Nelson Mandela, ou encore pour la liberté d’expression. La France le fera à son tour chevalier de la Légion d’honneur en 2010. Son dernier combat, il le mènera aux côtés de 200 personnalités en signant la tribune “Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité” appelant un engagement politique fort pour sauver la planète.
Manu Dibango - “Hi-Life”, extrait de l'album “Wakafrika” (1994)