L’interview a lieu pendant la séance de coiffure et de maquillage qui précède le shooting pour Numéro Homme. Arrivé en avance, le visage non encore défroissé après une nuit trop brève, Orelsan se prête volontiers à ce rituel de transformation qui le livrera à l’objectif, vif et étincelant, moins de deux heures plus tard : “J’aime faire de temps en temps des images où j’apparais en beau gosse. Il y a tellement de photos de moi dégueulasses qui circulent sur Instagram, des selfies pris à 3 heures du mat’, ou en train d’aller chercher le pain en claquettes. Pour contrebalancer, j’ai envie de donner une image qui soit raccord avec le spectacle, à cette forme idéalisée qu’on peut livrer de soi.”
Le rappeur français le plus populaire des quinze dernières années confesse avoir mal encaissé qu’une photo de lui, prise à la sauvette avec un fan en 2021, et diffusée par le compte Twitter Raplume, devienne virale en quelques minutes et sujet de raillerie pendant plusieurs jours. Le cheveux long et raplapla, un sweat trop large qui pouvait laisser croire qu’il sortait d’une cure de KFC (“Alors que je n’avais jamais été aussi fit”), une mauvaise focale qui tassait la silhouette et, dans l’impitoyable centrifugeuse d’Internet, il n’en faudra pas plus pour faire d’un come-back un cauchemar. “Clique pour voir si je ressemble à la vieille du CDI”, répliquera Orelsan quelques jours plus tard, à l’occasion de la sortie du clip de Millions, un titre en collaboration avec un autre rappeur, Ninho. Niveau punchlines, les amateurs anonymes des réseaux peuvent retourner se rhabiller face à un pro qui en aligne plusieurs dizaines par morceau, certaines (“Simple. Basique.”) ayant infiltré le langage courant.
Cette histoire d’image(s) et de transformation, quoique futile à première vue, est pourtant à l’origine même du passage d’Orelsan de la confidentialité à la pleine lumière. Dans l’excellente série documentaire Montre jamais ça à personne, réalisée par son frère, Clément Cotentin, et diffusée sur Prime Video, on assiste précisément à cette métamorphose d’un rappeur mal identifié en super-héros. On est alors à l’approche de la sortie du deuxième album, Le Chant des sirènes, en 2011. Le réalisateur et artiste numérique David Tomaszewski prend en charge l’image d’Orelsan comme on entraîne un futur commando. Pas de Photoshop qui vaille, il va falloir montrer des capacités athlétiques dans les clips et sur scène. Il le colle à la muscu, lui fait faire un régime pour le délester d’une quinzaine de kilos et, sur la pochette de l’album comme dans le clip spectaculaire de RaelSan, le résultat contribue à faire passer Orelsan dans une cyberdimension qui accompagne son éclosion aux yeux du grand public.
“J’aime bien cette idée que les artistes puissent prendre une dimension un peu irréelle, devenir des personnages différents de ce qu’ils sont dans la vie. Quand je vais voir un show, j’aime la dimension ‘show’ et, dans mon cas, c’est assez marrant de voir d’où je viens et où me conduit cette transformation. Ce qui est intéressant, avec la musique, c’est qu’on peut basculer d’un contexte très intimiste à quelque chose de monumental. C’est un peu ce qui s’est passé pour moi, mais rien n’était prémédité... J’ai fait mes premiers concerts dans une toute petite salle parisienne, La Boule Noire, où j’ai recréé sur scène mon appartement, comme pour me protéger. Et quelques années plus tard, me voilà transformé en personnage de science-fiction.”
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