Coiffure et maquillage : Fabien Giambona pour Dessange Paris. Assistant réalisation : Arthur Callegari.
Regarde-moi. Le titre, limpide et efficace, du premier album de Pierre de Maere d’Aertrycke, alias Pierre de Maere, sorti début 2023, n’est pas une injonction difficile à suivre. Quand l’auteur-compositeur-interprète et producteur belge de 22 ans entre dans une pièce, difficile de détacher nos yeux de sa gueule d’ange. Même si le décor, le showroom luxuriant de la maison Gucci, attire aussi l’attention. Avec ses iris bleu piscine, sa coupe de cheveux étudiée (une “wolf cut de british fuck boy”, nous dit-il dans une formule intraduisible), son polo vert pétant ainsi que son allure longiligne (1,88 m) et androgyne de gravure de mode, le dandy pop capte tous les regards. Tout comme il électrise les charts...
Interview de Pierre de Maere, la sensation pop francophone et ami de la maison Gucci
Depuis sa publication fin 2021, son tube entêtant et poétique Un jour je marierai un ange, dont la vidéo comptabilise 24 millions de vues sur YouTube, est devenu un hymne transgénérationnel. Le single de diamant captive autant TikTok que les fans de chanson. Dans la foulée, Pierre de Maere a raflé une Victoire de la musique (celle de la Révélation masculine de l’année, en 2023), enchaînant les concerts et les festivals à une vitesse folle, dont une Cigale et un Olympia sold out. L’artiste plein de panache, ami de la maison Gucci, a même été adoubé par le rappeur Booba, plus habitué à émettre des critiques acerbes qu’à prodiguer des élans de tendresse.
Après une performance live du Belge lors de l’émission Quotidien, l’ancien membre de Lunatic a déclaré sur X (ex-Twitter) en février 2023 : “Moi, j’aime bien, franchement c’est original, mi-matelot, mi-rugbyman, les ‘r’ un peu roulés à la Brel. Bon, les mocassins me perturbent un peu, mais c’est un détail.” Encore ébahi, Pierre de Maere nous avoue : “Je n’aurais jamais imaginé un tel scénario. La réaction de Booba était aussi drôle qu’inattendue. Même si ses louanges sont potentiellement à prendre au 100e degré, elles demeurent dans le top 3 des meilleures anecdotes sur ma vie que j’ai à raconter jusque-là.”
"Je pense qu’il faut absolument commencer tôt. Dans n’importe quelle discipline." Pierre de Maere
Si l’explosion de Pierre de Maere, découvert par une maison de disques grâce à un titre, Potins absurdes, posté sur le Net en 2020, semble fulgurante, l’ascension du nouveau phénomène de la pop et de la chanson francophone à tendance synthétique ne s’est pas faite en un jour. Le jeune homme, désormais installé à Paris – en colocation dans un appartement jonché de costumes de luxe empruntés –, insiste sur ce point : il n’est pas “un fils de”. “Ma mère est architecte à son compte. Elle fait beaucoup de projets publics et n’a jamais aimé gagner de l’argent. Son état d’esprit, c’est de faire des trucs gratuits pour des amis qui n’ont pas un sou. Et c’est très bien. Quant à mon père, il préfère gagner de l’argent, lui [rires]. Il est juriste. Je ne sais pas exactement ce qu’il fait, c’est toujours compliqué, mais c’est très bien aussi.”
Né le 24 mai 2001 à Uccle, au sud de Bruxelles, le petit garçon va vite s’ennuyer loin de l’agitation de la capitale belge. En effet, dès ses 10 ans, ses parents emménagent dans une ferme située dans la commune de Walhain, dans le Brabant wallon. Pour combler le vide, Pierre de Maere s’imagine une autre vie, plus scintillante, en écrivant des chansons. “J’ai d’abord écrit des textes en français, se souvient le musicien autodidacte qui a pratiqué pendant dix ans la batterie, à partir de l’âge de 9 ans. Puis de vraies chansons avec de la musique à 11-12 ans sur un iPod Touch, avec le logiciel GarageBand, comme beaucoup d’autres. C’est hyper facile d’accès. Ma grand-mère saurait l’utiliser. J’étais alors trop pudique pour m’exprimer en français et, ne connaissant pas l’anglais, je chantais dans une langue inventée. C’était mauvais, mais quand tu as 12 ans, tu ne t’en rends pas compte. Je pense qu’il faut absolument commencer tôt. Dans n’importe quelle discipline, dès que tu es pris, enfant, par une passion, tu n’as pas conscience que ce que tu fais n’est pas bon, et tu travailles sans t’arrêter jusqu’à ce que tu t’améliores. Moi, j’ai essayé de me mettre à dessiner, par exemple, à 18 ans, et c’était impossible. C’était trop tard.”
Pierre de Maere semble être né pour devenir une pop star et se déhancher sous les projecteurs. Il a pourtant d’abord envisagé une autre destinée. Adolescent, il se rêvait photographe de mode et s’est éloigné, un temps, de la musique. “J’ai commencé la photographie à 14-15 ans, et je m’y suis consacré pleinement pendant un moment. J’ai d’abord réalisé des portraits de ma sœur et de copines à moi, dans ma chambre. Elles devenaient même des clientes, car je leur faisais payer les tirages afin de pouvoir m’offrir un ordinateur et un appareil photo un peu potables. Ensuite, j’ai démarché des agences de mannequins comme Dominique ou Elite. Je shootais les ‘new faces’, réalisais leurs ‘polas’. Et puis j’ai photographié des personnalités. À 16 ans, j’ai contacté l’agence d’un acteur que j’adore, Alex Lawther, de la série Netflix The End of the F***ing World. Il a beaucoup de charisme et de charme, et j’avais très envie de le shooter. Il a adoré les clichés qui, par le plus grand des hasards, ont fini dans un magazine anglais.”
“Je ne me considère pas comme un bon chanteur.” Pierre de Maere
Fort de ce succès peu banal à un si jeune âge, le Belge aurait pu continuer sur sa lancée. Mais c’était compter sans une mauvaise expérience... “À 18 ans, je me suis inscrit en photo à l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers, là où ont étudié Martin Margiela et Dries Van Noten. Mais les créateurs, en école de mode et d’art, ce sont vraiment tous des chiens. La mentalité est particulière, très froide, surtout aux Beaux-Arts d’Anvers. Il y a une distance, une sorte de snobisme que je déteste. Sans parler de la branlette intellectuelle distillée dans les cours... Les profs ne juraient que par le storytelling. La belle lumière, la belle technique, ils n’en avaient rien à foutre. Or, moi, je suis un esthète, donc j’étais frustré...” De son passage aux Beaux-Arts, le Belge garde un sens de l’image qui claque.
Comme chez Prince, David Bowie ou Björk, et chez ceux qui l’ont influencé – Lady Gaga, Stromae, Michel Polnareff, les Rita Mitsouko et Lil Nas X –, la forme compte presque autant que le fond chez Pierre de Maere. Ses visuels de promo, léchés et oniriques, sont dignes de photographies de mode, et ses clips ressemblent à des films d’auteur dans lesquels il se transforme en soldat paumé désertant le combat ou en rugbyman en quête d’idylles.
Au regard des chiffres d’écoute de Pierre de Maere – en 2022, Un jour je marierai un ange s’est hissé dans le top 10 des charts français –, nombreux sont ceux qui veulent vivre dans ces tableaux sonores, loin de l’esthétique minimaliste et du conformisme prônés par Instagram. Cet engouement a aussi beaucoup à voir avec son look étudié, rétrofuturiste et magnétique. Coupe au bol, costumes, clashs d’imprimés... Le chanteur, qui crée sa musique quasi seul, tout juste épaulé par son frère, ingénieur du son, ne laisse rien au hasard. Depuis l’Olympia, complet – un Zénith se prépare pour 2024 –, et les nombreux prix reçus (NRJ Music Award, Victoire de la musique), Pierre de Maere a soigné son syndrome de l’imposteur.
Mais il reste toujours des failles. Sans cesse dans la remise en question, le chanteur, qui a pour habitude d’enregistrer ses chansons nu et légèrement éméché, minimise tout au long de notre interview son talent, pourtant phénoménal. “Je ne me considère pas comme un bon chanteur, confie-t-il. Je me vois avant tout comme un auteur-compositeur qui écrit dans son coin. Les versions studio sont retouchées 150 fois. Je n’avais jamais pris de cours de chant jusqu’à très récemment, où je m’y suis enfin résolu. Car je ne peux pas arriver au Zénith et chanter comme une casserole. J’ai appris en donnant des concerts. Lors de mon premier live à Paris, en mai 2022, à La Cigale, tout sonnait très faux, car c’était le cinquième concert de ma vie.”
“Si j’avais fait un album uniquement autobiographique, ça aurait été soporifique.” Pierre de Maere
On sent chez Pierre de Maere une envie de plaire et de se plaire. Sans qu’il s’agisse d’un pur narcissisme. Il avoue : “Si j’ai appelé mon album Regarde-moi, ce n’est pas un ‘Regarde-moi, je suis beau’, mais plutôt un ‘Regarde-moi, s’il te plaît, fais-moi comprendre que je vaux la peine d’exister’. Ça fait presque de la peine, dit comme ça. Parce qu’au moment où j’ai écrit ce disque, j’avais beaucoup moins confiance en moi qu’aujourd’hui.” Sur l’un de ses plus beaux morceaux, Regarde-moi, qui a donc donné son titre à l’album, Pierre de Maere se dévoile sans fard : “Décidément rien à faire/ Tu n’en as rien à faire de moi/ Décidément je m’y perds/ Et c’est un peu à cause de toi si/ Ce soir je fais des bêtises/ J’m’arrache à coup de tise / La foule adore ma triste comédie/ Ce soir je strip et je tease, ouais.”
Le texte, qui oscille entre sublime et pathétique, lui a été inspiré par l’une de ses idoles. “Quand Lady Gaga n’était ‘que’ Stefani Germanotta et qu’elle se produisait dans des bars, personne ne la regardait. Et puis un jour, elle en a eu marre de jouer dans l’indifférence la plus totale, alors elle a décidé de carrément se déshabiller. Bien sûr, les gens se sont tout à coup intéressés à elle. C’est ça être artiste, c’est le désir d’être vu, de plaire. Est-ce en tant qu’artiste ou en tant qu’être humain que l’on veut être vu ? Personnellement, je ne sais pas. Il faudrait que je consulte pour le savoir [rires].”
La réponse se trouve sans doute dans les paroles des chansons de Pierre de Maere, aux qualités littéraires indéniables. Certains de ses morceaux sont autobiographiques. “Un jour je marierai un ange et Enfant de ont été inspirés par ma vie. Le premier titre évoque ma quête d’un amour très tendre, un peu idéaliste, qui n’existe que dans les contes de fées. J’avais tellement besoin de ça à ce moment-là. Quant à Enfant de, ça parle de mes deux parents qui n’ont rien à foutre ensemble et qui pourtant s’aiment toujours. Ils étaient touchés et ont rigolé en l’écoutant. Ils prennent tout avec légèreté.”
“Ce serait opportuniste de ma part de transformer ma sexualité en combat et d’en faire un argument de vente, alors que je n’en ai pas souffert.” Pierre de Maere
D’autres chansons de Pierre de Maere, figurant sur son album Regarde-moi, sont plus excessives et éloignées de son quotidien, comme Bel-Ami, inspirée du roman de Maupassant, qui imagine un séducteur impénitent. “Quand il s’agit d’écrire des morceaux plus dramatiques, j’invente des personnages, comme sur Les Oiseaux, qui parle d’un soldat envoyé contre son gré au front, qui écrit à son beau, ou à sa belle. C’est une lettre d’amour et d’adieu parce qu’on sent que c’est un peu la fin. Il déserte, mais sans succès. Il y a aussi J’aime ta violence, qui évoque une personne accro à la cocaïne. J’y chante ces lignes : ‘J’aime ta violence/ Qui trace dans mes veines/ Je suis le plus fort/ Depuis que nous sommes amis/ Tu n’es pas si blanche/ Que tu n’en as l’air.’ Pourtant, je n’ai jamais consommé de cocaïne. Mais si j’avais fait un album uniquement autobiographique, ça aurait été soporifique. Alors j’imagine d’autres histoires, comme un cinéaste crée des scénarios de fiction.”
Toutes les chansons de la pop star ne parlent presque que d’amour contrarié et d’envie de vivre follement, en employant des termes forts tournant autour de la mort et du combat. La volonté de se plonger dans des récits intenses et épiques, souvent tragiques, est pour Pierre de Maere directement corrélée à son enfance et à son adolescence sans vagues : “Je n’ai que 22 ans et je n’ai pas vécu 500 000 vies comme le chanteur Lucky Love. Moi, j’ai une vie assez tranquille. J’ai grandi dans un village très calme en Belgique, loin de tout, mais ce n’était pas un problème. J’ai des parents très aimants. Je n’ai pas eu d’histoires d’amour affolantes. La découverte de mon homosexualité, je l’ai vécue de manière calme. J’ai eu beaucoup de chance. C’est pour ça, d’ailleurs, que je ne veux pas en faire un sujet. Ce serait opportuniste de ma part de transformer ma sexualité en combat et d’en faire un commerce ou un argument de vente, alors que je n’en ai pas souffert. C’est important que la représentation soit multiple. Je pense qu’on a besoin d’un Bilal Hassani, très affirmé, mais aussi de personnes qui sont gays et qui n’éprouvent pas le besoin de le mettre en avant.”
Alors que notre entretien touche à sa fin, une chose, rare, nous frappe : l’artiste singulier semble échapper à toute étiquette... “Être belge, c’est une identité un peu hybride, explique-t-il. On va où on veut car on n’a pas un héritage aussi écrasant que celui de la culture française, même si on a Brel. Il n’y a donc pas de case dans laquelle on doit entrer. Je ne me suis jamais dit que je devais ressembler à quoi que ce soit. Je fais mon truc. Parfois, j’écoute des productions que j’ai faites et je rigole. Je les trouve assez impertinentes, surprenantes. Peut-être que c’est ça, mon côté belge : on ne s’oblige à rien !”
Regarde-moi (2023) de Pierre de Maere, disponible.
Pierre de Maere est en tournée en France et en Belgique jusqu'en septembre 2024 et en concert au Zénith de Paris ce 28 mars 2024.
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