Provoquer un désir puissant, voilà ce qu’un artiste peut, ou plutôt devrait accomplir. Thomas Azier, par sa musique autant que par sa personne, y réussit pleinement. Né à une époque où triomphent le second degré et l’absence de sincères élans du cœur – Internet et son perpétuel esprit de dérision, les jeux de rôle propres à la télé-réalité –, le jeune musicien s’est construit en réaction. Parce qu’il n’a connu que ce monde éloigné des sentiments, il est d’autant plus capable d’en ressentir le manque, et de les désirer. Avec fierté, il défend son envie d’exprimer ses états de l’âme, ses expériences et ses rêveries intimes. Et arrive surtout à communiquer à son public cette même soif de se dévoiler.
“J’assume mes sentiments et la recherche de la beauté même si cela peut paraître très premier degré. Mon romantisme n’est ni nostalgique ni réactionnaire, bien au contraire.”
Si sa musique électronique connaît quelques envolées lyriques passionnées, ses morceaux préservent pourtant une légèreté pop. Ils s’en démarquent cependant par des réminiscences 80 particulières qui leur procurent une sensualité froide : la new wave et la musique industrielle ne sont jamais loin, même si Thomas Azier parvient toujours à les tenir à distance pour imposer des constructions résolument contemporaines et beaucoup plus complexes. Chaque titre se fait ainsi narration longue. “J’assume mes sentiments et la recherche de la beauté, nous confiait Thomas Azier à l’occasion de la sortie du précédent album, même si cela peut paraître très premier degré. Mon objectif est de combiner cette démarche avec un son nouveau, excitant. Mon romantisme n’est ni nostalgique ni réactionnaire, bien au contraire. J’ai conscience aujourd’hui d’une certaine naïveté dans mon approche, et j’essaie de la préserver. Tout comme j’essaie de préserver la beauté noire que je perçois dans le monde et qui nourrit ma musique.”
Lorsqu’il parle, son visage émacié à la peau diaphane renvoie comme une évidence au chanteur aphrodisiaque de Depeche Mode, Dave Gahan, période eighties. Les analogies n’étaient donc pas que musicales. “J’avais toujours vécu en vase clos, poursuit-il, dans une petite ville bizarre des Pays-Bas, qui aurait pu facilement se retrouver dans un film de David Lynch. Et puis il y a eu Internet, qui malgré tout a de bons côtés si l’outil est bien utilisé. Et j’ai pu découvrir le rap de 36 Chambers du Wu-Tang Clan. J’ai commencé à me perdre dans ce nouveau monde infini auquel j’avais accès. Et je me suis construit de plus en plus en rupture avec mon environnement immédiat. Alors je suis parti.” Quittant sa campagne, il se retrouve à Berlin où sa musique s’épanouit. Une ville qu’il a pourtant du mal à accepter totalement, la comparant à Sodome et à Gomorrhe, corruptrice et attractive. Mais c’est sans doute parce qu’il est toujours et partout étranger au monde que Thomas Azier est capable d’en percevoir avec autant d’acuité les états de trouble et d’en rendre compte.
“Nous copions perpétuellement les Anglo-Saxons, et cela me paraît vain. Je dis ‘nous’ car j’appartiens à un mouvement qui, de la France à l’Allemagne en passant par le Benelux, a quelque chose à dire de différent, de sincère et de tout aussi légitime.”
La profondeur de sa musique doit également beaucoup à un attrait pour une création artistique exigeante : des réalisations du label Warp à celles du groupe culte Portishead dont le bassiste produit l’album de son amie Anika, de la poésie du Portugais Fernando Pessoa aux films du réalisateur hongrois Béla Tarr. “Il m’a fallu plus de cinq ans pour apprendre non seulement à faire de la musique, mais à appréhender les classiques, pour être capable, alors, de proposer autre chose, confie-t-il. La création n’a aucun sens si elle ne produit rien de nouveau. Nous copions perpétuellement les Anglo-Saxons, et cela me paraît vain. Je dis ‘nous’ car j’appartiens à un mouvement qui, de la France à l’Allemagne en passant par le Benelux, a quelque chose à dire de différent, de sincère et de tout aussi légitime.” Appelons cela un romantisme noir et envoûtant.
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