© Sofia Sanchez et Mauro Mongiello
La jeune chanteuse Tyla déjà couronnée par un Grammy
Comme le succès phénoménal de Rihanna l’a démontré, on peut venir d’un lieu très éloigné du star-system américain et devenir l’une des plus grandes stars mondiales. Un exemple et une inspiration majeure pour la jeune chanteuse originaire de Johannesburg Tyla, 22 ans. C’est d’ailleurs elle qui a assuré en 2023 les premières parties de l’ex-petit ami de la star, Chris Brown. Depuis son premier single, Getting Late, sorti en 2019, cumulant des milliards d’écoutes en streaming, son scintillement s’étend de jour en jour. Entre un concert pour un défilé Dolce & Gabbana à Milan, une chanson, Overdue (2021), figurant dans la BO de la série Netflix Blood & Water, une signature sur une major (Epic Records) et une photo d’elle postée par Kim Kardashian sur son compte Instagram, Tyla est l’une des étoiles montantes de la pop.
Les choses se sont accélérées quand elle a sorti le tube Water (2023), qui cumule 146 millions de vues sur YouTube et qui a donné lieu à un challenge sur TikTok. Elle a depuis été suivie sur Instagram par Rosalía, écoutée par Cardi B dans une story Instagram et remixée par Travis Scott. Autres faits d'armes ? Barack Obama a playlisté l'un des ses morceaux, Beyoncé lui a envoyé des fleurs (au sens propre comme au figuré) et Tyla a reçu le prix de la meilleure performance de musique africaine à la 66e édition des Grammy Awards le 4 février dernier. Elle est d'ailleurs la plus jeune artiste africaine à remporter un Grammy.
Même si elle a du annuler sa tournée (et son passage à Coachella) en raison d'une blessure, son ascension n'est pas terminée. Ce vendredi 22 mars, Tyla sortira son premier album, qui porte le même nom qu'elle. On y retrouvera l'irrésistible Water mais aussi des titres aussi entêtants qu'On and On ou Truth or Dare ou Butterflies ainsi que des collaborations avec Tems, Gunna, Becky G et Travis Scott.
Les débuts de Tyla dans l'industrie de la musique
Il aura suffi d’une poignée de singles (Getting Late, Overdue, Been Thinking, To Last) et de quelques pas de danse chaloupés sur TikTok pour que tous les regards se braquent sur le beau visage de Tyla et sur son timbre voluptueux. Pourtant, rien ne la prédestinait à un tel succès, comme elle nous l’explique lors d’une rencontre parisienne. “Je suis née et j’ai grandi à Johannesburg, dans une grande famille où nous étions cinq enfants. Mon père est comptable et ma mère ne travaille pas vraiment, mais a dû essayer tous les boulots du monde. Elle est très créative. Elle fabrique des bijoux, des bougies... Je suis très proche de mes frères et sœurs, nés à un an d’écart les uns des autres. Mes parents étaient très stricts, alors nous étions souvent enfermés à la maison, et donc bien forcés d’être les meilleurs amis du monde.”
Lorsqu’elle nous parle de son enfance vibrante, on voit presque le tableau, plein de couleurs chatoyantes, de cris et de rires, se dessiner. “Avec ma fratrie, nous étions très bruyants, poursuit-elle. Nous avions le droit de sortir de temps en temps au magasin du coin avec nos cousins. Parfois, ma mère nous demandait aussi de l’aider à vendre d’anciens vêtements. Nous choisissions un coin de rue au hasard, placions une couverture sur le sol et haranguions les gens pour qu’ils nous les achètent. Nous allions aussi à l’endroit où s’arrêtent les taxis pour vendre des fat cakes, aussi appelés magwinya, des pâtisseries africaines. Nous étions vraiment les commerciaux de ma mère [rires]. Nous n’étions pas riches, mais j’ai adoré mon enfance !”
Tyla, dans les pas de Rihanna
Enfant, Tyla écrivait des chansons pour la fête des Pères et la fête des Mères. Adolescente, elle chantait en “free-style” sur des instrumentations de morceaux connus trouvés sur YouTube, inventant des paroles sur des garçons qu’elle trouvait craquants. Croyant en sa bonne étoile, alors qu’elle est au lycée, elle ose un jour les poster sur Instagram, et envoyer des messages privés à des stars telles que Rihanna, Drake et DJ Khaled. Si aucune ne lui répond, c’est pourtant ainsi que celui qui est toujours son manager la remarque, alors le conte de fées commence. Tous les week-ends, la chanteuse enregistre de la musique en studio, accompagnée de sa meilleure amie avec laquelle elle s’amuse entre les prises.
Si les parents de Tyla écoutaient beaucoup de musique à la maison, notamment Michael Jackson, ils n’étaient guère convaincus qu’une carrière d’artiste soit une bonne idée pour leur fille, craignant que, comme pour beaucoup de leurs proches, le rêve ne tourne court. Tyla songeait ainsi à étudier l’ingénierie minière avant que sa passion ne la rattrape. “J’ai toujours senti que j’étais faite pour être une artiste. Chanter et écrire des paroles de chansons étaient les seules choses qui m’intéressaient quand j’étais enfant. Ma première chanson parlait d’un garçon, mon crush à l’école. Il est toujours question d’un garçon... C’était vraiment pas terrible. Personne ne l’a jamais écoutée. J’ai même déchiré la page de mon journal intime pour que personne ne la trouve.”
Danseuse hors pair sur scène et dans ses clips, Tyla est aussi une performeuse-née. “Devant ma famille ou mes camarades d’école, j’aimais déjà faire de petites performances. Et je m’inscrivais à tous les concours possibles à l’école. J’adorais être en face d’une caméra, faire des vidéos, prendre des photos.”
Tyla, étoile montante de l'amapiano et du R'n'B
Ses vidéos ultra sexy – cumulant des millions de vues – et sa voix soyeuse dans la lignée des grandes stars du R’n’B des années 2000, d’Aaliyah à Ciara, ne sont pas les seules explications à l’engouement suscité par Tyla. Son attachement à ses racines y est aussi pour beaucoup. Selon l’influent média Pitchfork, elle est la “princesse de l’amapiano”, un genre musical sud-africain hypnotique. L’artiste mélange en effet la pop et le R’n’B à l’amapiano. Elle a même inventé un nom pour définir sa musique : la “popiano”. L’amapiano est un style musical hybridant deep house, jazz, sonorités lounge et âme du gospel. Ses morceaux, créés via des logiciels peu onéreux de manière DIY, appartiennent à la rue, aux townships et aux clubs moites. Le mot vient d’un terme zoulou qui signifie “les pianos”, et son tempo suave et lent plonge les auditeurs dans une sorte de transe, invitant aux déhanchés chaloupés et aux rapprochements sur la piste de danse. Comme son cousin nigérian l’afrobeats, cette musique qualifiée de “post-apartheid”, née en 2012, enflamme désormais la planète.
Comme je suis très fière de là d’où je viens et de ma culture sud-africaine, j’ai envie de la représenter dans le monde entier.” Tyla
Si des artistes tels que Jorja Smith et Major Lazer en instillent des relents dans leurs chansons, l’amapiano raconte avant tout l’histoire de son pays d’origine. Il doit en effet beaucoup au kwaito, autre genre musical descendant de la house, qui a vu le jour à Soweto après l’apartheid, dans les années 90, quand Nelson Mandela est devenu le premier président noir élu démocratiquement d’Afrique du Sud. Le kwaito est la bande-son d’un peuple. Une musique qui traduit une nouvelle liberté d’expression et une nouvelle énergie. “L’amapiano est un genre qui est vraiment propre à l’Afrique du Sud, explique Tyla. Ici, on écoute beaucoup de house, de jazz, de kwaito, et l’amapiano découle de ces genres. On reconnaît l’amapiano grâce à ses lignes de basse percussives très puissantes et aux ‘log drums’, des tambours en bois au son chaud reproduits ‘électroniquement’ via des logiciels. Ce sont des sonorités que tout le monde aime dans mon pays, qu’on entend partout : dans la rue, les magasins, les transports en commun. Mais les maîtres du jeu sont les DJ, tels que DJ Maphorisa, qui produisent et passent la musique en club. Tous les artistes amapiano, comme la chanteuse Sha Sha ou le rappeur Nasty C, forment une grande famille. On se connaît tous et on joue dans les mêmes clubs.”
La hype mondiale autour de l’amapiano, qui s’est infiltré dans les clubs pointus parisiens depuis le Covid, ne déplaît nullement à Tyla. “Je suis contente que le genre voyage aujourd’hui et rencontre du succès ailleurs, car nous connaissons cette musique et dansons dessus depuis plusieurs années. Tant que les artistes qui ne viennent pas d’Afrique du Sud et qui se l’accaparent savent d’où ça vient, ça me va.”
Tyla explose avec le single Water
L’artiste insiste aussi sur sa fierté à représenter les sonorités sud-africaines à l’étranger. “Comme je suis très fière de là d’où je viens et de ma culture, j’ai envie de la représenter dans le monde entier. J’ai grandi en écoutant de la pop et du R’n’B. Je suis fan d’Aaliyah, de Rihanna, de Beyoncé, de Boyz II Men, de Brian McKnight, et cela m’influence. Mais je voulais ajouter ma ‘touche africaine’ et incorporer des sonorités amapiano et afrobeats dans mes mélodies.”
Dans ses clips, Tyla tient également à rendre hommage à son background. “J’ai voulu tourner la vidéo de ma chanson Been Thinking dans mon pays pour que l’on retrouve les authentiques mouvements de danse d’ici. Parce que les personnes qui ne viennent pas d’Afrique du Sud peuvent apprendre ces mouvements, mais la vibration sera différente.”
Grâce à ses tubes, notamment à Water, Tyla a déjà réalisé beaucoup de ses rêves, même si elle fantasme un duo avec la star de R’n’B Doja Cat. Elle a rencontré les chanteuses en vue H.E.R. et SZA, et a pu voyager en dehors de son pays. Face à nous, des étoiles plein les yeux, elle n’en revient pas de se trouver à Paris. Il faudra pourtant qu’elle s’y habitue, car l’étoile montante, qui prépare son premier album, est loin d’avoir fini de briller.
Tyla (2024) de Tyla, disponible le 22 mars 2024.