Le clip de "The Funeral" (2022) de Yungblud
Au festival Rock en Seine (en banlieue parisienne), Dominic Harrison alias Yungblud était accueilli telle une rock star, voire un messie, le 25 août dernier. L'artiste britannique, suivi par 3,7 millions de followers sur Instagram, dégage un charisme rare, qui électrise dès qu'il apparaît sur la scène. Celui qui a commencé par des études de théâtre à Londres (puis des apparitions dans des séries) se meut avec une énergie punk dévorante et fascine avec son look de clown gothiques et son maquillage digne de celui de Beetlejuice et du Joker. Il faut dire que le jeune auteur-compositeur-interprète a le rock'n'roll dans le sang. Son grand-père, Rick Harrison, jouait du piano et de la basse, et s'est produit avec le mythique groupe glam rock britannique T. Rex durant les années 70. Et son père possédait un prestigieux magasin de guitares qui a vendu des instruments à Noel Gallagher d'Oasis et à Johnny Marr des Smiths.
Ce n'est donc pas étonnant si pour Mick Jagger et Ozzy Osbourne (le leader de Black Sabbath, qui joue dans le clip The Funeral de Yungblud, sorti en 2022), l'artiste de 25 ans originaire du Yorkshire représente le renouveau du rock. Et que la scène musicale se l'arrache, de Willow Smith en passant par le chanteur-rappeur Machine Gun Kelly, le rappeur Denzel Curry et le batteur Travis Barker. En deux albums, 21st Century Liability (2018) et Weird! (2020), Dominic Harrison a fait preuve d'un sens de la mélodie accrocheuse et d'un mélange (habile) des genres (rock, punk, power pop, hip-hop, ska),. Influencé des artistes aussi différents que Oasis, les Beatles, Bob Dylan, Lady Gaga, David Bowie, Arctic Monkeys, Eminem, The Cure (qu'il sample sur son nouveau single, Tissues) ou les Clash, il séduit autant les amateurs de pop que de punk. Sa mission ? "Embrasser l'étrange", confie l'artiste iconoclaste. Car pour lui, l'imperfection est une perfection.
L'ex petit ami de la chanteuse Halsey (qui aurait également fréquenté une autre rebelle de l'industrie musicale, Miley Cyrus), a déclaré être pansexuel ainsi que polyamoureux. Et il s'avère que cette fluidité (associée à ses hybridations musicales) en font une star parfaitement en phase avec la génération Z, dont il est l'une des icônes. Un engouement amplifié par la tendance de l'artiste à parler, dans des tubes cathartiques, de dépression, de troubles mentaux, de dépendance, de consentement et d'autres sujets sociétaux. Alors que sort ce vendredi 2 septembre son touchant nouvel album (intitulé Yungblud), très inspiré par les années 80 et les années 2000, rencontre avec le "sang neuf" du rock qui, selon, les rumeurs, pourrait incarner Boy George dans un futur biopic.
Le clip de "Tissues" (2022) de Yungblud
Numéro : Quand et comment avez-vous commencé à faire de la musique ?
Yungblud : Mon père tenait un magasin de guitares quand j'étais enfant. J'ai donc littéralement grandi avec une guitare à la main dès mon plus jeune âge. Il existe d'ailleurs une photo de moi bébé, avec cet instrument sur les jambes. Mais je pense que j'ai vraiment voulu faire de la musique lorsque j'avais 14-15 ans, parce que je venais d'un endroit appelé Doncaster, dans le Yorkshire, qui est une très petite ville du nord de l'Angleterre. Et les gens n'aimaient pas la façon dont je m'habillais et la façon dont je m'exprimais. Mais, et cela est très étrange à dire , je ne pense pas être un musicien. Je pense que je suis plus un « communicateur », une sorte de soldat qui se bat pour l'individualité. Si vous voulez aller voir un chanteur, n'allez pas me voir en concert. Si vous voulez aller voir un guitariste, n'allez pas me voir non plus. Si vous voulez que votre âme soit enflammée, que vous vous teniez dans une pièce et que vous fassiez l'expérience d'une énergie que vous n'avez jamais connue, alors, venez me voir.
Quels sentiments voulez-vous transmettre avec vos albums et vos concerts ?
Je veux permettre aux gens de se sentir vus, entendus, de sentir qu'ils ont une voix. Et quand vous venez à un spectacle, que ce soit presque comme si les gens pouvaient parler alors qu'ils n'avaient jamais pu le faire avant. Je veux que l'expérience soit forte et passionnée.
Comment décririez-vous votre nouvel album ?
Je dirais presque que c'est en fait mon premier album en tant qu'œuvre d'art. Je pense que ce disque est très cohérent et très personnel parce que tout le monde a une opinion sur qui est Yungblud. Cet album est une invitation. C'est vous, c'est moi. C'est tout ce que vous voulez être. C'est une histoire sur moi, mais c'est aussi une histoire sur vous. Parce que je crois que si je ressens quelque chose, alors quelqu'un d'autre peut ressentir ça aussi.
Memories (2022) de Yungblud featuring Willow
Dans cet album, il y a des morceaux énervés et d'autres, beaucoup plus calmes...
Il y a en effet beaucoup de colère et de douleur sur cet album. La façon dont cet album a changé depuis le début est dû au fait que j'ai commencé en tant que jeune homme de 17 ans en colère à faire de la musique. Et cette colère s'est transformée en amour. Je me suis senti aimé pour la première fois. Et il n'y a rien de plus puissant que ça. Tout se résume au final à l'amour. Cette déclaration peut sembler "cliché" mais lorsque vous trouvez une base de fans en France, en Espagne, au Portugal, en Amérique, en Australie, au Japon, en Irlande, au Royaume-Uni, au Mexique, en Malaisie, et que vous sentez toute cette connexion et cet amour, ça remplit de bonheur. Et je me devais d’écrire à ce sujet. Mais il y a aussi beaucoup de textes sur la mort dans cet album parce que j'ai toujours pensé à ce qu'il se passerait si je n'étais plus là. C'est toujours dans un coin de ma tête. J'ai fini par accepter le fait que ce sera probablement toujours dans ma tête. Je ne peux rien y faire, mais si j'apprends à vivre avec cette voix et à la gérer. Et je me dis : tout ira bien.
Quelle est votre chanson préférée sur cet album ?
The Funeral, dans laquelle je parle de mes complexes et de mes peurs. L'idée était de diffuser ce qui me rend vulnérable, et espérer que personne d'autre ne puisse me faire sentir mal pour ça. Je voulais que cette chanson apporte du courage aux autres et les invite à s'exprimer à leur tour. Car s'exprimer est la plus belle chose au monde pour moi. Beaucoup de gens se trompent à mon sujet. On pense que je suis un punk. Parce que c'est dans cette catégorie qu'on peut m'enfermer le plus facilement. Mais j'aime Fred Astaire, Karl Marx et Antonio Vivaldi autant que j'aime les Sex Pistols. Vous voyez ce que je veux dire ? C'est ça, le jeune "Blood" (pour le "Blud" de "Yungblud", ndr). Et c'est ça qui définit l'esprit du punk. Il s'agit d'exprimer qui l'on est vraiment plutôt que d'être juste en colère.
La vidéo de "Don’t Feel Like Feeling Sad Today" (2022) de Yungblud
Vous avez collaboré avec Willow Smith sur l'un de vos derniers morceaux, Memories. Comment était-ce de travailler avec elle ?
J'adore Willow. Elle est incroyable. Nous avons commencé par être amis avant de travailler ensemble. L'enregistrement de notre chanson était juste un morceau de magie qui a réussi à se connecter avec des millions de personnes (le titre cumule plus de 4 millions de vues sur YouTube, ndr). Je ne pouvais pas y croire. Le rock'n'roll est devenu un genre tellement blanc et si prétentieux. Willow apporte une nouvelle énergie qui est excitante et folle. Elle fait partie d'un nouvel âge du rock qui "fait chier" les vieux et c'est ce qu'est censé faire cette musique. La génération qui nous a précédé avait les géniaux Arctic Monkeys. Et la génération d'avant disait d'eux : "ils sonnent comme du mauvais Oasis." Or on avait déjà dit à Oasis qu'ils copiaient les Beatles. Et que les Beatles sonnaient comme du Chuck Berry. Et Chuck Berry ? On pourrait le relier au jazz de la Nouvelle-Orléans. Tout le monde est toujours en colère. Et quand les gens sont énervés, un nouvel univers de rock stars entre en collision avec le passé et ça s'enflamme pour engendrer quelque chose de magique.
Quelles sont vos plus grandes inspirations musicales ?
Madonna, Placebo, Joy Division, mais aussi Chris Difford du groupe anglais Squeeze, Bob Dylan... La liste est longue. Mais à la première place, je dirais évidemment David Bowie parce qu'avec lui, il ne s'agissait jamais que de chansons, mais d'idées qu'il voulait mettre au monde et laisser derrière lui.
La vidéo de "11 Minutes" (2019) de Yungblud et Halsey featuring Travis Barker
Vous semblez utiliser votre musique et vos réseaux sociaux pour parler de vos engagements, notamment concernant la visibilité des problématiques de santé mentale...
La musique, c’est ma façon de dire la vérité sans avoir peur. Je pense qu'avec ma musique, je peux dire des choses que je n'avais pas le courage de dire dans la vie de tous les jours. Ce qui est drôle, c'est que sans s’y attendre le projet Yungblud est devenu énorme et commercial. Alors parfois les gens peuvent avoir peur de ce dont je parle. Pour un fan des Sex Pistols, je suis un imposteur. Pour un fan d'Ariana Grande, je suis effrayant. Je ne serai jamais Ariana Grande, ni Harry Styles. Mais je les aime. Je les adore même. Et je pense que ce qu'ils apportent au monde est cool, et qu'ils sont brillants. Sauf que je ne défierai jamais leurs arts. Car l'art est l'expression même de l'âme de quelqu'un. Et je n'oserais jamais remettre en question l'âme de quelqu'un.
Que diriez-vous à ceux qui ne comprennent pas qu'un homme porte, comme vous, des jupes (et se maquille) ?
Je leur dirai simplement : "essayez, et vous verrez que vous vous sentirez très bien."
Yungblud (2022) de Yungblud, disponible sur toutes les plateformes.