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Numéro
08 Bianca Bondi, Numéro Art, Reiffers Art Initiatives, Exposition, Paris

Qui est Bianca Bondi, artiste chamane aux œuvres mystiques et aux rituels ésotériques ?

Numéro art

Potions magiques, arts divinatoires, rituels païens... L'artiste sudafricaine Bianca Bondi, installée à Paris, déploie dans ses installations un univers mystique entre sciences naturelles et sciences occultes, réactions chimiques et pouvoirs magiques. Un art qui se situe au croisement de la recherche expérimentale et de la pratique de rituels ésotériques. Ses œuvres sont à découvrir à l'Acacias Art Center à Paris jusqu'au 16 juin, au sein de l'exposition “Infiltrées. 5 manières d'habiter le monde” de Reiffers Art Initiatives.

  • Portrait de Bianca Bondi par Douglas Irvine Maquillage et coiffure : Chloe Desmarchelier. Retouche : Hudson Douglas Irvine

    Portrait de Bianca Bondi par Douglas Irvine Maquillage et coiffure : Chloe Desmarchelier. Retouche : Hudson Douglas Irvine Portrait de Bianca Bondi par Douglas Irvine Maquillage et coiffure : Chloe Desmarchelier. Retouche : Hudson Douglas Irvine
  • Bianca Bondi photographiée au sein de son installation "Beltane Oracle" (2022-2023) à Lafayette Anticipations, Paris © Hudson Douglas Irvine

    Bianca Bondi photographiée au sein de son installation "Beltane Oracle" (2022-2023) à Lafayette Anticipations, Paris © Hudson Douglas Irvine Bianca Bondi photographiée au sein de son installation "Beltane Oracle" (2022-2023) à Lafayette Anticipations, Paris © Hudson Douglas Irvine
  • Détail de l’installation "Beltane Oracle" (2022-2023) présentée à Lafayette Anticipations au sein de l’exposition "Au-delà" © Hudson Douglas Irvine

    Détail de l’installation "Beltane Oracle" (2022-2023) présentée à Lafayette Anticipations au sein de l’exposition "Au-delà" © Hudson Douglas Irvine Détail de l’installation "Beltane Oracle" (2022-2023) présentée à Lafayette Anticipations au sein de l’exposition "Au-delà" © Hudson Douglas Irvine

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Bianca Bondi pratique la magie à partir d'une considération de l'énergie cosmique présente dans chaque personne et chaque chose. Son cadre magique de référence est celui de la Wicca, une des principales formes de néopaganisme, qui promeut le culte de la terre et de la Nature et se revendique art de vivre en harmonie avec son environnement. L’artiste choisit les matériaux et les objets qui composent ses œuvres en fonction de leur énergie et de leur puissance symbolique, en essayant de l’activer ou de la canaliser pour des installations spécifiques, qu’elle conçoit pour la plupart in situ. Elle s’intéresse aux objets qui ont une histoire, une vie antérieure, et qui nécessitent donc d’être purifiés avant leur utilisation. Ainsi, Bianca Bondi effectue des rituels pour nettoyer leur aura en faisant passer les objets à travers les quatre éléments, soit matériellement (par exemple avec le feu des bougies ou l’eau des larmes), soit mentalement (un exercice qui demande un effort très intense de visualisation et de méditation). Une autre technique de purification utilisée par l’artiste est celle du nettoyage par l’eau salée. Le sel opère d’une façon bien particulière : en tant qu’inhibiteur microbien, il agit en même temps sur le plan physique, en neutralisant les bactéries, et sur le plan métaphysique, en éloignant les mauvaises énergies spirituelles. Avec un seul et même procédé, on peut donc purifier un objet tant du point de vue chimique que du point de vue de sa dimension auratique. 

Conversation entre l'artiste Bianca Bondi et Elisabeth von Thurn and Taxis dans l'exposition “Infiltrées – 5 manières d'habiter le monde”.

La pratique occulte du scrying (vision dans le cristal), un des plus anciens rituels de divination, est évoquée dans les œuvres de l’artiste avec la présence de plusieurs bassins d’eau salée. Cet art de la révélation par images psychiques, dont le médium est une surface réfléchissante, serait capable de nous connecter au monde invisible grâce à nos facultés de seconde vue. Les ouvertures au sol de forme circulaire s’inspirent des cenotes mexicains (puits ou grottes d’eau douce), dans lesquels les Mayas jetaient des offrandes au monde souterrain. Dans certaines installations, comme la série Lost and Found (2021), des pièces de monnaie en cuivre, des fleurs, des plumes, des ossements d’oiseaux, du coquillage et des objets chinés peuplent les étangs d’eau salée. En offrant ces matières aux esprits, l’artiste fait office de médiatrice entre ce monde et l’au-delà. 

 

Dans Beltane Oracle (2023), exposée au printemps à Lafayette Anticipations, les bols en céramique évoquent l’image de cratères lunaires et renvoient au symbole yonique de l’énergie féminine. Ces cratères remplis de potions magiques – qui mélangent eau bénite et lait maternel – balancent les figures phalliques des poteaux de robinier brulé, en poursuivant le principe wiccan de l’harmonie naturelle entre le féminin et le masculin. Au cœur de cet étrange “jardin zen”, les cinq poteaux ne renvoient pas seulement au symbole ésotérique du pentagramme, mais peuvent aussi être vus comme les doigts d’une main émergeant d’un monde souterrain, dont les extrémités sont illuminées par des cristaux de quartz. Beltane Oracle se réfère à la célébration du mât de mai (ou arbre de mai, un rite de fécondité lié au retour de la frondaison qui consiste à planter un arbre ou un mât qui le représente dans le courant du mois de mai) et à la fête de Beltaine (célébrée dans la nuit du 30 avril au 1er mai). 

Vue des œuvres de Bianca Bondi dans l'exposition du prix Reiffers Art Initiatives “Infiltrées - 5 manières d'habiter le monde” à l'Acacias Art Center, Paris (2023). Vue des œuvres de Bianca Bondi dans l'exposition du prix Reiffers Art Initiatives “Infiltrées - 5 manières d'habiter le monde” à l'Acacias Art Center, Paris (2023).
Vue des œuvres de Bianca Bondi dans l'exposition du prix Reiffers Art Initiatives “Infiltrées - 5 manières d'habiter le monde” à l'Acacias Art Center, Paris (2023).
Vue des œuvres de Bianca Bondi dans l'exposition du prix Reiffers Art Initiatives “Infiltrées - 5 manières d'habiter le monde” à l'Acacias Art Center, Paris (2023). Vue des œuvres de Bianca Bondi dans l'exposition du prix Reiffers Art Initiatives “Infiltrées - 5 manières d'habiter le monde” à l'Acacias Art Center, Paris (2023).
Vue des œuvres de Bianca Bondi dans l'exposition du prix Reiffers Art Initiatives “Infiltrées - 5 manières d'habiter le monde” à l'Acacias Art Center, Paris (2023).

Complémentaire à la nuit plus connue d’Halloween, ce moment aussi rend très labile le voile qui sépare les morts des vivants. Entre matériel et spirituel, entre sacré et profane, entre visible et invisible, entre vie et mort, entre projection psychique et surface physique, entre monde conscient et monde onirique... les œuvres de Bianca Bondi sont des lieux liminaux : seuils, ponts ou portes initiatiques entre deux dimensions. Cet entre-deux est aussi appelé par la présence de plantes médicinales et protectrices, qui sont pour la plupart stabilisées, c’est-à-dire qu’elles ne peuvent pas faner. Elles aussi se trouvent donc dans un état de transition entre le vivant et le non-vivant. Ce n’est pas un hasard si la plante la plus utilisée par l’artiste est l’amarante qui dans les rituels païens assure un passage protégé entre le royaume des vivants et celui des morts. 

 

Les œuvres de Bianca Bondi mettent en scène une intense activité matérielle et énergétique. L’artiste utilise diverses solutions chimiques pour amplifier les processus de liquéfaction, de concrétion, de cristallisation ou d’oxydation, créant ainsi des lieux habités par des êtres en transformation, théâtres d’échanges et rencontres entre entités non humaines. Les cristaux qui se forment à partir des solutions salines grandissent, se déplacent et interagissent avec l’atmosphère. Sur la table de The Private Lives of Non-Human Entities (2020), les différents liquides et potions magico-chimiques contenus dans la vaisselle suintent et dégoulinent, bougent et se déversent, provoquant des fluctuations de couleur et de température : la vie inorganique de la matière, qui communique au niveau moléculaire, se déploie en affirmant ses propres formes. Dans Wild and Slow (2022) c’est aussi la vie bactérienne qui s’épanouit. En rentrant dans le cercle lunaire de sel protecteur, on accède à un comptoir-autel sur lequel des récipients contiennent des halobactéries, qui prolifèrent dans des milieux saturés en sels dissous. Ici, comme dans d’autres installations de l’artiste, la dureté de certains métaux (tel le laiton) est contrastée par l’inondation de sel qui les recouvre. En se promenant dans ces décors ouatés, on se croirait soit dans un rêve dont on ne connaît pas l’origine, soit dans un monde à venir où l’humain s’est effacé au profit de la vie moléculaire. Dans ces lieux abandonnés, les puissances purificatrices du sel sont contrebalancées par sa présence démesurée. Sa dissémination sur tous les éléments des œuvres et l’invasion presque totale du sol renvoient à son pouvoir de corrosion et de destruction des matières organiques. 

"The Antechamber (Tundra Swan)", 2020. Installation spécifique avec divers objets et 6 tonnes de sel non raffiné. Vue de l’exposition “Word at an Exhibition”, Busan Biennale, 2020 © Bianca Bondi. Courtesy of the artist and Busan Biennale

"The Antechamber (Tundra Swan)", 2020. Installation spécifique avec divers objets et 6 tonnes de sel non raffiné. Vue de l’exposition “Word at an Exhibition”, Busan Biennale, 2020 © Bianca Bondi. Courtesy of the artist and Busan Biennale
"The Antechamber (Tundra Swan)", 2020. Installation spécifique avec divers objets et 6 tonnes de sel non raffiné. Vue de l’exposition “Word at an Exhibition”, Busan Biennale, 2020 © Bianca Bondi. Courtesy of the artist and Busan Biennale

"The Private Lives of Non-Human Entities" (2020). Installation comprenant une enseigne au néon, deux chaises et une table recouverte de vaisselle cristallisée dans du sel. Vue de l’exposition “Chapter 3, Het Hem, Zaandam”, 2020 Photo Martin Freiherr van Hagen (6) and Cassander Eeftinck Schattenkerk (7) © Courtesy of the artist and mor charpentier.

"The Private Lives of Non-Human Entities" (2020). Installation comprenant une enseigne au néon, deux chaises et une table recouverte de vaisselle cristallisée dans du sel. Vue de l’exposition “Chapter 3, Het Hem, Zaandam”, 2020 Photo Martin Freiherr van Hagen (6) and Cassander Eeftinck Schattenkerk (7) © Courtesy of the artist and mor charpentier.
"The Private Lives of Non-Human Entities" (2020). Installation comprenant une enseigne au néon, deux chaises et une table recouverte de vaisselle cristallisée dans du sel. Vue de l’exposition “Chapter 3, Het Hem, Zaandam”, 2020 Photo Martin Freiherr van Hagen (6) and Cassander Eeftinck Schattenkerk (7) © Courtesy of the artist and mor charpentier.

Les installations de Bianca Bondi sont marquées par une ambiguïté évidente : elles nous parlent d’une vie non humaine, mais le théâtre de cette vie se développe dans des lieux qui sont normalement investis par les humains (chambres, comptoirs, cuisines, tables à manger...). L’humain reste ici présent en tant qu’absence, en tant que ce qui est absent, soustrait au cadre plastique d’une mise en scène qui conserve tous les éléments indiquant sa venue. Il n’est pas là où on l’attend (ou là où il devrait être) et ce manque est précisément ce qui permet l’ouverture de la vie au-delà de l’humain. Il semblerait que la condition de prolifération de ces autres types de vie et de présence – plus secrets, plus discrets, mais non moins actifs – soit l’absence même de l’humain. Est-ce qu’il serait possible d’imaginer d’autres scénographies matérielles pour déployer davantage cette vie non humaine ? Peut-être, pour répondre à cette question faudra-t-il attendre la première exposition institutionnelle de l’artiste aux États-Unis, prévue à la fin de l’année au Dallas Contemporay. Entretemps, dans l’exposition collective Infiltrées – 5 manières d’habiter le monde à l’Acacias Art Center (Paris), nous pourrons apercevoir la suite des expérimentations artistiques de Bianca Bondi : il semble qu’elle ait commencé à inclure dans son univers magique le textile et la tapisserie... 

 

Bianca Bondi est représentée par la galerie Mor Charpentier à Paris.
Elle fait partie des cinq artistes présentées dans l'exposition collective du prix Reiffers Art Initiatives “Infiltrées. 5 manières d’habiter le monde”, jusqu'au 16 juin 2023 à l'Acacias Art Center, Paris 17e.

"Wild and slow" 2022. Photo Andreas B. Krueger. © Bianca Bondi / ADAGP. "Wild and slow" 2022. Photo Andreas B. Krueger. © Bianca Bondi / ADAGP.
"Wild and slow" 2022. Photo Andreas B. Krueger. © Bianca Bondi / ADAGP.