© The Estate of Larry Stanton. Courtesy of Apalazzo Gallery - Brescia.
Un retour en grâce 40 ans après son décès
Près de quarante ans après la mort prématurée de son auteur, l’œuvre de Larry Stanton reprend vie à travers une série d’expositions proposées par des galeries ou des institutions européennes et américaines – dont la plus récente chez Tarmak 22, à Gstaad (en Suisse), à l’initiative de la galerie Apalazzo, du magazine Apartamento et d’Antonia Crespi. Toutes visent à présenter le travail de cet artiste new-yorkais exceptionnel qui, en quelques années d’activité seulement, a créé un important corpus d’œuvres faisant appel aux techniques les plus diverses : peinture, dessin, photographie et vidéo. Né en 1947 dans une famille rurale de Delhi (dans l’État de New York), Larry Stanton est arrivé à Manhattan pour étudier l’art à Cooper Union, où il n’a tenu qu’un semestre. Son apparition dans le milieu gay underground des années 60 a été pour le moins spectaculaire : “Dans la communauté, beaucoup avaient entendu dire qu’un petit nouveau venait de débarquer, qu’il était particulièrement mignon, et beaucoup – dont moi – avaient très envie de faire sa connaissance.” C’est en ces termes qu’Arthur Lambert – petit ami, père adoptif et administrateur de la succession de l’artiste – se souvient du jeune homme qui a vécu et peint à Manhattan jusqu’à ce que le sida l’emporte en 1984, à l’âge de 37 ans. Mais qui était vraiment Larry Stanton ? C’était un très beau garçon, un portraitiste extrêmement talentueux et prometteur, dont le travail – bien que salué par des artistes et des critiques comme David Hockney, Peter Schjeldahl, Henry Geldzahler ou William Burroughs – n’a cependant été que très peu exposé publiquement durant sa brève mais intense existence. Ses meilleures œuvres ont été produites pendant la courte période qui a débuté en 1981. À ce moment-là, il se rétablissait d’un épisode psychotique pour lequel il avait brièvement été interné, l’alcool et le décès de sa mère y ayant joué un rôle majeur.
En se remettant au travail, il y a trouvé un nouvel engagement qui l’a littéralement absorbé. Dans le quartier new-yorkais de Greenwich Village, il est devenu une figure familière. Il attaquait tous les jours en début d’après-midi, en buvant son café toujours au même endroit, tout en tenant en équilibre le carnet de croquis où il dessinait les gens qui avaient attiré son regard. Son atelier s’est peu à peu transformé en lieu de ralliement pour des artistes et des écrivains séduits par son charme, son physique et le travail qu’il réalisait. Ils sont devenus, avec ses amis et sa famille, les sujets de ses portraits. Mais le thème central de son art, c’était surtout les garçons qu’il rencontrait lors de ses expéditions nocturnes. À la fin des années 70 et au début des années 80, la ville de New York était un véritable aimant pour des garçons qui affluaient de tout le pays. Beaucoup fuyaient leur famille et des lieux où l’homosexualité n’était pas acceptée.
Un artiste aussi bien inspiré par Picasso et Hockney que Dennis Cooper et Tim Duglos
“Les gens fabriquent eux-mêmes les traits de leur visage, Larry savait ça d’instinct.” Ces mots sont ceux de David Hockney, dans la préface du premier livre consacré à l’œuvre de Stanton, édité par Arthur Lambert et publié en 1986 chez Twelvetrees Press. Ses peintures et dessins ont souvent été comparés à ceux d’Alex Katz, avec lesquels ils n’ont qu’une ressemblance superficielle. Stanton, lui, affirmait que son travail se nourrissait des textures picturales et de la chaleur psychologique qu’il trouvait dans les toiles de Picasso, de Matisse ou de son cher ami et mentor David Hockney. Ses peintures et ses dessins transmettent une foi inébranlable, parfois prodigieuse, en la sensualité de la beauté humaine. On y voit aussi bien la beauté très lisse d’un visage juvénile que le caractère plus marqué d’un visage vieillissant. Outre les modèles qui ont posé pour lui – et qu’il avait pour la plupart rencontrés dans des bars gay –, il a aussi peint beaucoup d’artistes dont il était l’ami, notamment Ross Bleckner, Izhar Patkin ou les écrivains Dennis Cooper et Tim Duglos.
Des œuvres témoins d'une liberté sexuelle... avant l'arrivée du sida
Dans les dessins de Larry Stanton, ce sont surtout les yeux qui retiennent l’attention. La plupart des sujets sont représentés en train de regarder directement vers vous, les yeux braqués sur l’artiste. Il est le maître incontesté du crayon de couleur et de la craie grasse. Il lui est arrivé de remplir l’arrière-plan d’images, mais la plupart du temps, le fond est un simple aplat coloré, donnant exactement l’importance requise au modèle représenté et faisant du papier un objet admirable en soi. Outre les magnifiques peintures et dessins, il reste aussi, dans les archives de l’artiste, une quantité remarquable de photographies en couleur ou en noir et blanc, ainsi qu’une série de films super 8 tournés à Fire Island au milieu des années 70, témoignage assez unique de la vie gay de l’époque dans les sphères privées – un mélange explosif de liberté, d’amitié, de plaisir et de sexe.
Mais ce moment idyllique, s’il a réellement existé, a pris fin avec l’apparition du sida. Les gens ont commencé à mourir dès la fin des années 70 et, au début des années 80, disparaissaient à un rythme soutenu. Malheureusement, Larry lui aussi est parti. De son vivant, il n’a vendu que sept toiles, mais depuis sa mort, la quasi-intégralité de son œuvre a été achetée par des collectionneurs. Il aura fallu quarante ans pour que son art soit pleinement apprécié. En avril 2022 est parue la première monographie consacrée à Larry Stanton, Think of Me When It Thunders, éditée chez Apartamento Publishing. L’ouvrage présente une vaste compilation d’images et d’écrits, donnant un aperçu très complet de son travail. Quand on la regarde aujourd’hui, son œuvre est un voyage dans le temps, une collection de visages et d’histoires, de peintures et de dessins splendides, de fragments et d’esquisses. C’est la trame d’un film qui nous dit à quel point c’est difficile pour ceux qui nous quittent, mais aussi pour ceux qui restent. Ce film nous dit aussi que le souvenir est un excellent exercice d’apprentissage pour l’âme.