Mohamed Bourouissa photographié par Daniel Roché pour Numéro art.
Avec Mohamed Bourouissa, on pressent d’emblée que l’idée d’une rétrospective classique ne colle pas. Au moment où deux institutions françaises s’allient pour déployer sa vision, il botte en touche; “J’estime que mes œuvres peuvent toujours évoluer, qu’elles ne sont pas forcément finies.” Alors, cela sera autre chose; la métamorphose ou même la métempsycose contre la muséification, quand bien même l’automne n’en sera pas moins placé sous le signe du plasticien franco-algérien. À partir du 29 septembre, le LaM, à côté de Lille, ouvrira le bal avec “Attracteur étrange”, une proposition qui lie les pièces anciennes – remixées, donc – à de nouvelles productions. Là, notamment, quelque chose de la méthode Bourouissa s’observe déjà en acte.
Certes, les “hits” sont présentés, ceux qui l’auront fait connaître dans la seconde moitié des années 2000. C’est le cas de Temps mort, le film qu’il réalise en 2009, alors qu’il est encore étudiant au Fresnoy, selon un procédé de cocréation avec un détenu, Al, à qui l’artiste demande de réaliser des images au téléphone portable – pas vraiment encore “smart” – d’un quotidien d’ordinaire privé de représentation. Mais surtout, ils le sont dans l’enchaînement d’autres pièces, celles qui surprennent peut-être, par la place accordée à la pratique du dessin sériel, au graphite nerveux ou à l’aquarelle fluide; celles également qui, matériellement, mutent et se défilent, à l’instar de l’installation Les Oiseaux de paradis. Initiée en 2013, elle aura auparavant été connue sous le nom de The Whispering of Ghosts (lors de la 10e Biennale de Liverpool en 2018), puis Pas le temps pour les regrets (à l’occasion de l’exposition du prix Marcel-Duchamp la même année), poursuivant sa métempsycose et faisant résonner ses questionnements lancinants, à propos de l’hôpital de Blida-Joinville, de l’écrivain et psychiatre Frantz Fanon et de la colonisation des esprits.
Contrôle matériel, contrôle immatériel; l’opposition semblerait frontale et sans issue si l’exposition ne se poursuivait pas par un second volet. Au terme de la première, en effet, le Palais de Tokyo emboîtera le pas au LaM dès février 2024. “Là où la première est plus classique dans sa forme, la seconde possède une dimension plus conceptuelle. Au Palais de Tokyo, j’aimerais que le·la visiteur·ice se sente comme dans un album de musique.” Précisément, c’est bien par le son, et sa dimension thérapeutique, que l’artiste amorce une nouvelle phase; “Je commence à sculpter l’espace par le son, et les pièces sonores, ou la musique tout court, sont en train de devenir un leitmotiv dans mon travail.”
© ADAGP, Paris, 2023/Mohamed Bourouissa. Courtesy de l’artiste et de Mennour, Paris. Photo; N. Dewitte/LaM.
Et si Mohamed Bourouissa réfléchit aujourd’hui à la durée, à la manière de lier arts de l’espace et arts du temps, cela a tout à voir avec la nouvelle aventure qui l’a occupé l’an passé et dont le résultat a été lui aussi dévoilé cet automne; le théâtre. “Pour moi, le théâtre est un peu différent par rapport aux pratiques que j’ai eues. La réalité du temps est totalement inscrite dans la progression et ça a beaucoup imprégné en retour la manière dont je vois l’exposition.” La pièce en question, Quartier de femmes, est le monologue d’une femme traversant une prison et sa vie. Écrite par Zazon Castro et mise en scène par l’artiste, elle est le fruit d’ateliers d’écriture menés avec des femmes détenues. La première a eu lieu au LaM le 1er octobre.
Mohamed Bourouissa, “Attracteur étrange”, jusqu’au 21 janvier 2024 au LaM, Villeneuve-d’Ascq.
“Mohamed Bourouissa”, du 16 février au 30 juin 2024 au Palais de Tokyo, Paris 16e.
Crédits shooting :
Coiffure et maquillage: Miki Matsunaga. Set design: Benoist Buttin chez The Magnet Agency. Assistante réalisation: Elfé Baroso-Bertrand. Retouche: Nitty Gritty Berlin.
© Constance Mensh.