Vue de la foire Paris Internationale 2020. Photo : Margot Montigny
Art Basel, Frieze et désormais la FIAC : en 2020, le traditionnel calendrier des foires d’art s’est vu complètement chamboulé par la crise sanitaire. Annulées les unes après les autres, ces manifestations centrales du marché de l’art contemporain sont devenues victimes de sa mondialisation. Avec l’impossibilité pour les artistes, galeries et collectionneurs de voyager, se révélaient les limites d’un écosystème, que l’on pensait pourtant bien rodé. Plébiscitées par les foires à l’heure du confinement, les online viewing rooms – visites virtuelles des stands – se trouvent finalement remises en question seulement quelques mois après leur avènement. Le constat est clair : les acheteurs, commissaires, directeurs ou simples amateurs d’art ressentent le besoin de voir les œuvres en vrai, d’échanger avec leurs auteurs ou leurs représentants et de revivre l’expérience esthétique au-delà de l’écran pour en être convaincus. Mais comment, dans le contexte actuel, réinventer le modèle de la foire tout en assurant sa survie ?
Depuis sa création en 2015, Paris Internationale tente discrètement mais sûrement de répondre à cette problématique. Fruit de l’association de quatre galeries parisiennes – Crèvecœur, High Art, Antoine Levi et Sultana – et une suisse, Gregor Staiger, basée à Zurich, cette foire indépendante autogérée énonce dès sa première édition des ambitions bien précises : “exposer dans un décor moins formel (…) afin de brouiller la différence entre foire et exposition, au profit d’une approche plus collaborative”, tout en offrant aux participants des espaces à bas coût. Occupant tour à tour les majestueuses salles d’hôtels particuliers du 8e ou du 17e arrondissement parisien et même les anciens locaux de Libération, à quelques pas de la place de la République, l’événement organisé chaque année en parallèle de la FIAC a su s’établir comme son alternative, échappant à son plan rigide et aux cimaises blanches éclatantes de ses stands uniformes. Intérieurs d’armoires boisées, âtres de cheminées d’époque, anciennes salles de bain, marches des imposants escaliers… les participants de Paris Internationale s’installent partout, adaptant leur stand à l’environnement, autant que les œuvres des artistes présentés. Mais outre ces audacieux partis pris scénographiques, la jeune foire parisienne a également étonné par sa sélection, ouvrant grand ses portes aux project spaces et espaces non-profit. Invités gratuitement à présenter leurs projets aux côtés des galeries à visée marchande, tous s’y voyaient réunis autour d’un même désir : faire vivre la création artistique contemporaine en l’affranchissant de ses normes monotones, pour ne pas dire éculées.
Arrive le Covid-19. Dès le confinement, les directeurs de Paris Internationale Clément Delépine et Silvia Ammon et ses galeries organisatrices entrent dans une longue période de tergiversations… se fera ? Ne se fera pas ? Certains sont optimistes, d’autres plus prudents, jusqu’à ce qu’un nouvel espace soit déniché au mois de juillet : un ancien supermarché Dia du 9e arrondissement en attente d’être rénové. Tout en rez-de-chaussée, sur une surface de 350 m2 – bien loin des quatre étages de l’immeuble haussmannien qui accueillait les éditions précédentes –, le lieu amène son lot de nouvelles contraintes et un constat inévitable : les participants ne pourront pas occuper un espace dédié. Ainsi, à peine cinq ans après sa création, Paris Internationale se réinvente déjà en proposant un format inédit. Réduit au nombre de 29, contrastant avec la quarantaine voire la cinquantaine d’exposants habituelle, tous les participants sont invités à soumettre seulement deux œuvres de leurs artistes, qui seront ensuite réparties dans l’espace. Il y a à peine un mois, c’est donc à l’historienne de l’art et directrice du Centre d’art contemporain Ivry-le Crédac Claire Le Restif que la foire fait appel afin de disposer la soixantaine œuvres présélectionnées. Un commissariat express qui lui inspire d’ailleurs une comparaison avec le métier de “tapissier”, qui lors des salons d’art des XVIIIe et XIXe siècles avait pour rôle d’accrocher les toiles aux murs par ordre de hiérarchie. Pour cette sixième édition de Paris Internationale, donc, exit les stands mais également exit… les galeristes, invités – au regard des quotas sanitaires – à céder la priorité aux visiteurs dans ce parcours libre.
Avec pignon sur rue, les œuvres prennent ainsi place sur le carrelage et les murs blancs du magasin, comme si elles avaient été conçues pour. Sur un pilier, un homme nu de dos dessiné au pastel et à la craie par Louis Fratino nous présente son postérieur, exposition frontale de l’intimité dans ce lieu habitué jadis à un flux constant de visiteurs. Face à lui, un sombre corbeau peint en 2019 par Daichi Takagi ouvre silencieusement son bec – le mauvais présage d’une année difficile ? –, tandis que la Française Anne Bourse recrée, dans l’angle, une chambre enfantine, avec son matelas coloré, sa lampe tamisée et l’un de ses dessins au mur. Impossible de manquer au fond de la pièce les trois immenses paires de paraboles en acier d’Amitai Romm, diffuseurs peut-être bien déchus d’ondes invisibles. En s’approchant, on découvre à leur surface de petits trilobites (arthropodes marins préhistoriques) aimantés – la nature reprendrait-elle ses droits ? –, tandis que trois amphores blanches façonnées dans le polyuréthane par Raphaela Vogel esquissent le devenir fragmentaire d’objets archaïques. De part et d’autre de la salle, de petites lépiotes en résine émergent du carrelage écru à côté de nos pieds. Exposé par la galerie Sans titre (2016), l’artiste Hamish Pearch semble nous dire que, telles des champignons, les oeuvres vivent et prospèrent dans cet espace. Si bien que l’on croirait presque y sentir leurs propres pulsations.
Là où Paris Internationale avait déjà coutume d’étendre ses stands jusqu’aux sanitaires, sa nouvelle édition ne déroge pas à la règle : la coursive du magasin accueille elle aussi des oeuvres, à l’instar d’un remarquable paysage onirique voire mythologique peint par Miguel Cardenas et présenté par la galerie Koppe Astner, ou encore d’une croix de pharmacie animée par l’artiste d’origine allemande Mathis Altmann. Les yeux levés vers le plafond, on remarque à quelques centimètres de ses projections vidéos des autocollants militants de la force syndicale ouvrière, tandis que des traces de peinture sous un lavabo témoignent de multiples travaux réalisés sur ce site : nul doute, le lieu est resté presque intact. Seuls les néons ont été ajoutés par la foire pour pallier son éclairage très bancal, nous confiera-t-on. Et si les cartels se font discrets et sommaires, des commentaires sur chaque artiste seront à retrouver dans la version en ligne de la foire – qui a décidément pensé à tout. Mais sur place, hasard amusant, les QR codes intégrés à chaque autocollant peinent a s’ouvrir sur les téléphones faute d’un très faible réseau à l’intérieur de l’ancien supermarché. Comme si le lieu lui-même incitait les visiteurs à oublier quelques instants leurs écrans pour se recentrer, ici et maintenant, sur l’expérience esthétique unique.
Paris Internationale, 6e édition, du 22 au 29 octobre au 12, rue de Montyon, Paris 9e. Gratuit sur réservation.
La foire se déroule également en ligne.