Photos : Eva Wang. Stylisme : Ferdi Sibbel. Assistante styliste : Alice Datsenko. Coiffure : Rimi Ura chez Calliste Agency. Maquillage : Lili Choi chez Calliste Agency. Numérique : Lucas Matichard. Production : Margot Canton Lamousse et Jules Crye.
Tirdad Hashemi : une peinture en éruption
La violence est éruptive. Sourde et aveugle. C’est un flux vital, sans autre but que le principal : exister, malgré tout. Un cri sans les mots donc, empreint de la qualité universelle qui relie tous les fugitifs de la norme. Et néanmoins, c’est un vecteur de création incandescente, celle qui anime et consume Tirdad Hashemi. À Paris, on découvrait l’artiste au fil de petits formats sur papier, saynètes ancrées dans un environnement urbain gris, maussade, solitaire. Là, chacun prend à contrecœur le métro, s’inquiète d’avoir été ghosté, fait l’expérience des violences policières. Surtout, chacun, ou du moins les pairs que représente l’artiste, se met à la recherche d’un refuge : une parcelle de chaleur, une sensation de communion, qu’elle surgisse dans l’espace domestique intime, la touffeur du club ou les alliances furtives de corps qui se mêlent. Et toujours ce jaillissement primal, intérieur et universel, que nul seuil ni porte ne saurait contenir, qui part des entrailles pour éclabousser le réel : sang, eau, soleil, feu.
De Téhéran à Berlin, des dessins qui expriment la violence du quotidien
Née en 1991 à Téhéran, partie d’Iran pour vivre son homosexualité, Tirdad Hashemi cultive désormais le mouvement perpétuel, entre sa ville natale, Istanbul, Paris et Berlin. Celle dont les petits formats sur papier témoignent de la volonté de larguer toute amarre dit avoir commencé à peindre “parce que cela [lui] permettait d’exprimer les choses qu’[elle] ne pouvait dire verbalement”. Alors ses représentations prennent pour source le quotidien, le sien et celui de ses amis en exil, mais son médium, précisément, elle l’a élu car il lui permettait de se détacher du factuel, de l’advenu. De se décoller d’un visible trop monolithique qu’elle envoie de fait tanguer, voguer, valser. Cet aller-retour entre ce qui est là, pour tous, et ce qui pourrait être, pour les proches, est aussi ce qui se joue dans les éruptions : “Je ne regarde pas la télévision, car il m’est intenable d’entendre parler de toutes ces catastrophes, chaque jour, chaque heure, chaque seconde. Je fais face à la violence urbaine au quotidien, celle de la vie dans les grandes villes ; et tout cela apparaît dans mes peintures sous la forme de catastrophes naturelles contre lesquelles l’individu ne peut lutter.”
Une collaboration avec Soufia Erfanian et une exposition à la galerie gb agency
Puis, au plus sombre de l’hiver dernier, la pratique de Tirdad Hashemi s’est élargie à d’autres mains que les siennes. En résidence à l’atelier B.L.O. à Berlin, elle entreprend une collaboration avec Soufia Erfanian. “Nous venons toutes les deux de familles traditionnelles où le sujet des émotions, particulièrement celles qui ont trait à la sexualité ou au genre, n’avaient jamais droit de cité. Avec ce projet, nous voilà ensemble attablées au petit déjeuner, en train de l’aborder avec le monde entier. Ce projet continuera aussi longtemps que Soufia et moi formerons un couple.” Insensiblement, la représentation a également évolué. Ce n’est pas qu’elle soit plus apaisée : plutôt qu’au beau milieu d’un monde volcanique, deux figures féminines, des doubles, font face, front et famille élective ensemble, impassibles aux tourments incontrôlables. Au sein de l’exposition collective “La Fugitive”, inaugurée mi-septembre au Crédac à Ivry-sur-Seine, elles présentent une série de six œuvres récentes sur papier. Le titre de l’une d’entre elles, créée en 2021, s’en fait l’écho en creux : The Safest Place to Find Is Behind Your Hair [“L’endroit le plus sûr qui soit est derrière tes cheveux”].
Tirdad Hashemi, “The Trapped Lullabies, du 4 février au 11 mars 2023 à la galerie gb agency, Paris 3e.