© Tom Kleinberg.
1. La culture ballroom de Séoul sous l'objectif de Tom Kleinberg
“J’ai cherché à photographier ces ‘créatures nocturnes’ qui émergent la nuit quand tout le monde dort, qui prennent possession de l’espace public qu’ils fuient de jour”, explique le photographe Tom Kleinberg (né en 1998) à propos de son projet Forgotten in the Dark. Caméra sous le bras, l'artiste a capturé la communauté ballroom de Séoul, qui envahit les rues de la ville à la nuit tombée. Née aux États-Unis au début du XXe siècle, cette culture s'est principalement développée au sein de groupes latinos-américains qui, encore aujourd'hui, participent à sa diffusion et à la construction de son image. Plus secrète en Asie, elle s'y diffuse néanmoins progressivement, au détour d'un club ou d'un concours de voguing, infiltrés par Tom Kleinberg lors de ses semaines passées à Séoul. Présenté au sein d’un cube plongé dans le noir installé au centre de la cour intérieure du Centquatre, son travail Forgotten in the Darj se découvre après avoir traversé un lourd rideau noir – comme si le visiteur pénétrait dans les discothèques que fréquentent les protagonistes de ses photos. Sur le mur, des photographies prises sur le vif, sur la piste de danse ou au fumoir répondent au court-métrage projeté sur le mur principal. Entre chorégraphies et témoignages filmés, la vidéo de Tom Kleinberg prend des allures de documentaires à l'esthétique léchée, et immerge ses spectateurs dans l'énergie électrisante et poignante de ces nuits passées à Séoul. Et offre ainsi une tribune – et des visages – à une communauté encore marginalisée en Asie.
“The Darker the Night, the Brighter the Stars” © Glauco Canalis.
2. Glauco Canalis capture la jeunesse napolitaine en feu
Nichée sous l’imposant porche du Centquatre, une boîte noire renferme les images ardentes du photographe Glauco Canalis. Dans une série de photographies intitulée “The Darker the Night, the Brighter the Stars”, l’artiste aujourd’hui basé entre Londres et Milan s’imprègne de l’esprit de liesse des fêtes traditionnelles du Cippo di Sant’Antonio, très populaire chez les jeunes du quartier napolitain de Torretta. Au cours de cette célébration inspirée d'une coutume païenne, des groupes d'enfants cagoulés âgés de 6 à 16 ans sillonnent les rues pour voler des sapins de Noël et se battent avec les gangs des quartiers rivaux avant de brûler leurs précieuses trouvailles dans un immense feu de joie. À travers ce projet documentaire, le Sicilien explore, par le biais de portraits souvent nocturnes et saisissants par leur brutalité, les interactions de ces groupes juvéniles et le développement d’une véritable communauté, oscillant entre scènes violentes et baisers volés. Cette série d’images mêlant également des vidéos capturées par le photographe lors des célébrations populaires fait naître chez le public une étrange curiosité vis-à-vis de ces jeunes, qui naviguent à tâtons entre deux âges.
© Jussila Utu-Tuuli.
3. Photographier l'absence : Utu-Tuuli Jussila
Seule dans la campagne finlandaise, à Ylihärmä, la grand-mère de Utu-Tuuli Jussila (né·e en 1985) ère autour de sa maison. Balais ou râteau sous le bras, elle apparaît vaquant à ses occupations quotidiennes, du jardinage au ménage, au fil de centaines de photographies et extraits vidéos, désormais exposés sur les cimaises du Centquatre. Extraites des caméras de surveillance que la nonagénaire avait installée dans sa cour et dans son sous-sol, ces images nous plongent dans les journées de cette femme solitaire atteinte de la maladie d’Alzheimer, qui craignait que des individus ne s’introduisent chez elle. C'est après son décès en 2019 qu'Utu-Tuuli Jussila se plonge dans ces archives vidéos et découvre le quotidien de son aïeule, dont la présence se transforme, à mesure que la maladie prend le pas, en absence : celle-ci erre sans but, s'arrête en plein milieu de son trajet, comme ayant oublié ce qu'elle était en train de faire... Loin de filmer de quelconques intrus, les caméras se transforment finalement en vestiges mémoriels des derniers mois de vie de cette femme qui, en imaginant surveiller ses arrières, finit par elle-même être observée à son insu.
“Croupir dans la chaleur des autres” © Quentin Fromont.
4. Quentin Fromont : (ré)interpétations du désir
Dans une salle d’exposition dérobée du Centquatre, l’artiste Quentin Fromont (né en 1997) invite les visiteurs du festival Circulation(s) à découvrir ses œuvres sensibles à la croisée de nouveaux mondes fictifs, dans lesquels le désir semble omniprésent. Entre arts plastiques et visuels, l’artiste diplômé de l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs de Paris explore les complexités de l’intimité homosexuelle en imaginant un récit poétique inspiré du mythe du sommeil éternel d’Endymion – dans la mythologie grecque, berger épris de la déesse de la Lune Séléné. Dans ses réalisations, l'artiste mêle photographie et poésie, mais retravaille aussi des images issues de films érotiques à l’aide de coulées d’encres, faisant apparaître des silhouettes flottantes dans de véritables fresques colorées. À mi-chemin entre le rêve et le réel, ses tableaux s'inspirent de scènes antiques où l'on discerne des formes phalliques, des hommes et des lutteurs dont les corps se déforment sous la chaleur d’un été brûlant. En se jouant des codes de l’érotisme, l’artiste explore les thèmes de l’envie et du désir, sans que ses images ne se montrent pour autant trop crues ni dérangeantes.
© Dima Tolkachov x WhiteWall.
5. Dima Tolkachov : quand l’horizon se transforme en menace
Si la vue de la ligne d'horizon entre mer et ciel est souvent, dans l'art, porteuse d'espoir, elle peut aussi en temps de guerre incarner une menace permanente. Notamment à Kyiv et Irpin, en Ukraine, où Dima Tolkachov (né en 1989) documente depuis 2022 l’invasion russe et les stigmates de la guerre. Traces d'obus, débris, maisons détruites… Alors que les villes reprennent peu à peu un semblant de normalité, l’artiste souligne, avec ses projets Safe Threat et Faces, le risque d’en oublier la menace militaire qui les entoure. Une idée qu'il prolonge au sein de ses vidéos et de ses photographies capturant l’horizon de la mer Noire, réunies sous le titre évocateur de Boats : Dima Tolkachov pointe – littéralement – du doigt cette ligne qui devient aujourd'hui un symbole de menace, d'où les navires de guerre ont, il y a peu, lancé leurs roquettes. Alors que le mouvement de l'eau anime son installation vidéo, le photographe superpose des enregistrements de son souffle, semblables aux bruits de la mer, comme si chacune de ses inspirations renvoyaient voguer au loin ses plus grandes craintes… créant une atmosphère flottante, aussi apaisante qu'angoissante.
Les projets des cinq photographes sont à découvrir au festival Circulation(s), jusqu'au 2 juin 2024 au Centquatre, Paris 19e.