"I take for model ordinary people" (je prends pour modèles des gens ordinaires), peut-on lire sur le site d’Alex Huanfa Cheng, photographe diplômé des Beaux-Arts de Paris. Après avoir quitté son petit village rural natal, où il se destinait à une carrière d'ingénieur, le jeune Chinois pose ses valises à Paris : c'est là où il déniche la plupart de ses modèles et se lance dans la photographie. Entre nudité et scènes de vie quotidienne, ses séries mettent en scène des êtres capturés au hasard de rencontres posant dans leur plus simple appareil. En plaçant le corps au cœur de son œuvre, l’artiste fait la part belle aux relations humaines et se positionne dans la lignée de jeunes photographes chinois tels que Ren Hang, N°223 ou Luo Yang, qui choisissent le nu comme sujet principal et manifeste de leur désir de transgression.
Quatrième série de son travail photographique, The Days with Zhiyu plonge cette fois-ci au cœur de la vie personnelle d'Alex Huanfa Cheng, documentant la relation qu’il partage depuis 2012 avec sa femme. Dans le cocon de leur appartement, la complexité des sentiments unissant le couple est capturée par son objectif avec une franchise déconcertante. Nue et endormie, le jus d’une grenade entre les doigts, sa jeune épouse se donne en un véritable objet d’étude. Le corps, l’amour et les larmes, voilà ce que l’on entend bruisser derrière les photos de l’indolente, superposées avec des natures mortes silencieuses évoquant l’étendue de l’amour que lui porte le photographe. Le regard tendu vers le ciel ou l’appareil posé contre sa joue, Alex Huanfa Cheng s’adonne à un savant jeu de métaphores, opposant à son mariage l’image d’un arbre penché soutenu par un frêle bout de bois.
Alex Huanfa Cheng, “The days with Zhiyu” (2019)
Alex Huanfa Cheng, “The days with Zhiyu” (2019)
Par la profondeur du récit qu’il met en scène, l’artiste livre avec cette dernière série son travail plus abouti. Disputes, tendresse et mélancolies ponctuent les clichés qui semblent se dérouler en temps réel, au fur et à mesure que le couple évolue. Les traits tirés, le ventre arrondi et la peau tendue jusqu’à la naissance de leur enfant, Zhiyu ne cesse de fasciner celui qui en a fait sa muse. Sans pour autant déifier un être qui apparaît ici à fleur de peau, dans une vulnérabilité extrême, le travail de l’artiste offre un regard plein d’un amour sensoriel, sensuel et décomplexé. Touchant l’essence d’une relation personnelle et unique, la série d’Alex Huanfa Cheng tend toutefois vers l’universel : l’amour qu’il y décrit est simple, poétique et embué d’une délicatesse infinie.
Photographie – Bourse du talent 2019, jusqu'au 29 mars 2020 à la Bibliothèque François Mitterrand, Paris 13e.