Lee Shulman et The Anonymous Project exposent à la Samaritaine
Affiché en grand sur un mur, un homme toise les visiteurs de la Samaritaine, appareil entre les mains. De son objectif, une cascade de photographies rétro dégouline jusqu’au sol, dans un dédale de visages anonymes immortalisés entre les années 40 et 70. Plus loin, entre un présentoir Dior et des escaliers en fer forgé, ce sont d’autres clichés d’inconnus qui tapissent les murs et les portes d’ascenseurs du grand magasin parisien : ici deux couples en train de danser la chenille, là un bébé allongé sur un capot de voiture…
Regroupés par l'artiste et vidéaste Lee Shulman, ces clichés vintage déroulent devant nos yeux la vie d'inconnus dont les souvenirs se sont imprimés sur des diapositives depuis le milieu du 20e siècle, sans jamais avoir été développés. Et que le Britannique a commencé à collectionner assidûment il y a sept ans. “Tout a commencé quand mes parents m’ont donné une boîte de vieilles pellicules de photos de famille qu’ils n’avaient pas fait tirer, explique-t-il. Cela a éveillé chez moi un intérêt pour ces images oubliées, et je me suis mis à en acheter aléatoirement et frénétiquement sur eBay.” L’artiste britannique en achète alors par dizaines, accumulant dans son studio ces photographies trouvées sur internet ou dans des brocantes comme un explorateur des temps modernes, toujours plus excité par chaque découverte.
© Anonymous Project.
The Anonymous Project : un projet mystérieux qui séduit le New York Times
De ces boîtes remplies de pellicules anonymes, Lee Shulman extrait des centaines d'images inédites qu’il fait développer avant de les scanner. En 2017, sa démarche de collectionneur acharné prend un nom, et se dévoile sur un compte Instagram : The Anonymous Project est né.“Je ne sais pas si ce sont les couleurs assez folles et intenses de ces photographies ou l’intimité dégagée par ces scènes familiales, mais le succès a été presque immédiat.” raconte-t-il. À un tel point que le New York Times le contacte dans la foulée, souhaitant publier certains de ses clichés dans ses pages. “On m’a demandé mon nom et prénom pour créditer les photos. Alors, quand j’ai dit qu’elles n’étaient pas de moi mais d’anonymes, et qu’elles avaient été achetées sur internet, il y a eu un énorme silence…”
C’est ce regard vers la caméra qui traduit de l’amour, de l’affection… que l’on ne retrouve presque jamais dans les photographies professionnelles.” - Lee Shulman
Lui-même photographe et collaborateur proche de pointures du milieu telles que Martin Parr, Lee Shulman a l'impression d'avoir amorcé un projet inédit dans son domaine, car cette fois-ci, ni les visages capturés, ni l’artiste derrière l’objectif ne sont connus. “L’idée de The Anonymous Project, c’est celle du partage : c’est cette histoire de dialogue entre des gens proches, entre les sujets et leur photographe, qui capturent ensemble un moment intime. C’est ce regard vers la caméra qui traduit de l’amour, de l’affection… que l’on ne retrouve presque jamais dans les photographies professionnelles, car les modèles ne regardent pas le photographe.”
© Anonymous Project.
2000 photographies envahissent la Samaritaine
C’est ce sentiment d’amour qui semble avoir guidé la nouvelle exposition de The Anonymous Project, organisée ce printemps à la Samaritaine dans le cadre d'événement “Paris-Venise”, unissant le grand magasin parisien et le Fondaco Dei Tedeschi en Italie. “Selon moi, ces deux villes évoquent des images romantiques, explique Lee Shulman, auquel l'établissement a donné carte blanche. C’est ce qui m’a guidé dans mes recherches. Je me suis plongé dans plus de 2000 photographies que j’ai fait développer pour la première fois. C’est comme ça que je fonctionne : je découvre les clichés de ma collection au moment de concevoir mes expositions.”
Je découvre les clichés de ma collection au moment de concevoir mes expositions.”
Au sein de la Samaritaine, Lee Shulman a conçu des installations sur mesure pour exposer ces diapositives, imprimées aussi bien sur les portes des ascenseurs que sur des bannières, ou bien présentées plus traditionnellement dans de petits cadres éclairés, à l'intérieur desquels se croisent, entre autres, une petite fille entrain de dévorer une glace, deux vieilles dames éméchées posant les jambes en l’air, un frère et une sœur découpant leur gâteau d’anniversaire… “On me demande souvent si je trafique mes images car les couleurs sont très vives, voire saturées, ajoute l'artiste. Je pense que c’est justement ce qui les rend si fascinantes !” Des images d’un autre temps qui se dévoilent aujourd'hui comme autant de témoignages anonymes et intimes, aussi fascinants qu'émouvants.
The Anonymous Project, exposition jusqu'au 23 avril à la Samaritaine, Paris Ier.