Frank Sinatra Has a Cold [en français : Frank Sinatra a un rhume] est, à l'origine, le titre d'un portrait que Gay Talese – alors jeune journaliste trentenaire – consacra au crooner américain Frank Sinatra (1915-1998), – publia dans le magazine Esquire en avril 1966. Dans la nouvelle version à paraître le 1er juillet, éditée par Taschen, le portrait est désormais rehaussé de notes et de lettres issues des archives du journaliste, avec notamment des clichés de Phil Stern – photographe emblématique de l’âge d’or hollywoodien qui fut le seul à avoir eu le droit d’approcher le chanteur.
Après avoir passé les dix premières années de sa carrière au New York Times, Gay Talese signe, en 1965, un contrat d'un an et de six articles avec le magazine Esquire. Au cours de l’hiver, la rédaction d'Esquire demande à Gay Talese de réaliser un papier sur Frank Sinatra, surnommé "The Voice", qui approche alors de la cinquantaine. C’est d’ailleurs sa première mission pour le rédacteur en chef, Harold Hayes. Mais l’immense star n’est pas disposée à lui répondre car son actualité est tumultueuse : ses liens présumés avec la mafia abondent les colonnes des journaux américains, une récente relation avec la jeune Mia Farrow est révélée au grand jour, et un rhume de cerveau inattendu handicape son principal outil de travail… Pour autant, le journaliste ne se décourage pas. Sans interviewer directement l’artiste, il s’entretient avec ses proches et se contente d’observer la star à distance. Le résultat est concluant : l’article devient l’un des plus célèbres jamais publiés. Le “nouveau journalisme” est né.
“Un journal ne doit pas se contenter de donner des nouvelles de la société, il doit en être le révélateur” lance Gay Talese. Le journaliste, avec d’autres compères comme Joan Didion, Truman Capote ou Tom Wolfe a donc développé le “nouveau journalisme” ayant vocation à aller au-delà des faits, pour dévoiler la vérité qui se cache derrière. Au croisement d’une enquête anthropologique, de la littérature et d’un témoignage subjectif, ce nouveau genre se nourrit de procédés généralement dévolus à la fiction en respectant scrupuleusement les faits. Les reportages et portraits, très détaillés, plongent immédiatement le lecteur dans le récit, l’amènent à suivre, tel un roman, une narration fourmillante et complexe. Gay Talese en fait sa marque de fabrique. Il a l'art de suivre ses “personnages”. Pour écrire Frank Sinatra Has a Cold, il compulse l'énorme documentation, l'observe de loin, rencontre une centaine de témoins. Sa méthode : ne pas enregistrer les propos avec un magnétophone, prendre son temps pour bien faire, assumer la subjectivité de ses impressions. “Dans un coin sombre près du bar, un verre de bourbon dans une main et une cigarette dans l’autre, Frank Sinatra est debout entre deux blondes, jolies mais plus franchement jeunes. Assises, elles attendent qu’il veuille bien dire quelque chose. Mais lui reste silencieux. Il n’a pratiquement pas ouvert la bouche de toute la soirée et à l’heure qu’il est, [… ] il paraît encore plus impénétrable”. Son article de 1966 pour Esquire, décrit un Frank Sinatra morose, renfrogné, enrhumé, sirotant en silence un verre, et incapable de chanter. “Sinatra enrhumé, c'est Picasso sans peinture, Ferrari sans carburant – en pire. Car le plus ordinaire des rhumes prive Sinatra de son inestimable joyau – sa voix – et lui fait perdre confiance en lui”. Dans le numéro d'octobre 2003 consacré au 70e anniversaire d'Esquire, les rédacteurs en chef ont déclaré que l'article était la “meilleure histoire jamais publiée” par le journal.
Frank Sinatra Has a Cold de Gay Talese, Éd. Taschen, 250 pages.