Le “Studio Malick”, cœur vibrant au rythme de Bamako
Né au sein d’une famille peule à Soloba dans un petit village du Mali, Malick Sidibé fut le seul parmi ses 17 frères et sœurs à entrer à l'école. Très proche de son père, ce dernier le désigne pour partir étudier, avec une bourse offerte par le maire de son village. C’est dans les années 50 que sa carrière prend une véritable tournure artistique : il aiguise ses talents de dessinateur et s’essaie à la bijouterie à l'École des artisans soudanais. C’est là qu’il rencontre le photographe français Gérard Guillat qui lui demande de venir peindre la devanture de son studio photo. Celui que l’on surnomme “Gege la pellicule” lui apprend les rudiments de la photographie et le pousse à ouvrir son propre studio quelques années plus tard, le “Studio Malick” dans le quartier de Bagadadji, au cœur de Bamako. C’est à cette époque qu’il précise son style photographique, nourri d’images du réel, sincères et sans mise en scène. “La photo vraie” comme il la décrivait, à l’origine de portraits touchants tels que “Taximan avec une voiture” ou “Une amoureuse de thé”.
Mon chapeau et pattes d'éléphant, 1974 © Malick Sidibé
Du Mali de l’indépendance à celui de la gaité : “l’œil de Bamako” voit tout
Celui que l’on surnomme “l’œil de Bamako” devient très vite une figure incontournable de la ville et à plus grande échelle, du pays entier. Il court la capitale à la recherche de baptêmes, mariages, fêtes de village et bals de fin d’année, guidé par cette volonté d’immortaliser l’effervescence et l’insouciance d’une jeunesse bamakoise qui vit son indépendance. De surprises-parties en soirées dansantes, Malick Sidibé enchaîne les portraits de jeunes gens habillés à l’occidentale, rivalisant d’élégance et de tenue. Certains de ses clichés, souvent en noir et blanc comme celui d’un couple dansant intitulé “Nuit de noël“ ou “Danser le twist”, rendent compte de l’émergence de la musique étrangère à cette époque, “une musique libératrice” comme le photographe la décrivait. Dans ce contexte, la reconnaissance internationale finit par apparaître, avec le soutien de la Fondation Cartier qui inaugure la toute première exposition monographique du photographe en 1995 intitulée “Bamako”.
© Malick Sidibé
Le clinquant de Seydou Keïta vs le modeste de Malick Sidibé
“Seydou, c’était la grande classe des fonctionnaires, avec des hommes richement habillés qui couvraient leur dame de chaînes en or. Moi, c’était la classe moyenne; on pouvait même poser avec un mouton”, racontait Malick Sidibé au Monde. Deux grands maîtres de la photographie africaine ayant évolué avec des moyens simples, des studios modestement habillés d'une toile de fond peinte, mais habités par cette même volonté de faire de leur œuvre une mémoire collective. Car génération après génération, tous les quartiers défilèrent dans les studios des deux photographes, lieux d'archives de la scène malienne. Les loubards fans de yéyé et clope au bec pour Malick Sidibé, la jeune et élégante bourgeoisie pour Seydou Keïta. Chacun aura son lot de récompenses, mais il faudra attendre 2003 pour que Malick Sidibé reçoive le prestigieux prix international de la photographie Hasselblad, décerné pour la première fois à un photographe africain. Puis quatre ans plus tard, la consécration avec un Lion d’or à la Biennale de Venise. Jusqu’à sa mort le 14 avril 2016 à Bamako, le photographe n’a cessé de questionner son travail photographique, en proposant des séries artistiques plus recherchées comme la délicate “Vue de dos” exposée en 2001. Le photographe de légende a d’ailleurs laissé près de 400 000 négatifs dans son studio, mémoire vibrante de tout un pays, qui nous sera (nous l'espérons très fort) peut-être donnée de voir un jour.
© Malick Sidibé