Les photographies paraissent banales. Des paysages urbains, parfois ruraux et puis quelques personnes, des anonymes. C’est comme si on les avaient extraites d’un album quelconque. Pourtant, elles sont signées Stephen Shore, un grand photographe américain qui, dans les années 60, contribua à légitimer la photographie couleur dans les arts.
En vente sur le site de Christie’s jusqu’au 30 mai, 43 de ses photographies tirées de la série Uncommon Places prouvent que la photographie couleur est, autant que celle en noir et blanc, un art. La beauté y est partout. Inattendue voire incongrue tant elle surprend dans ces photographies de l’ordinaire. Elle est là, dans la chair rouge restée accrochée à des noyaux de cerises, dans la confrontation entre la raideur d’une cuillère en métal et la souplesse d’une serviette chiffonnée posée à proximité. Là encore, dans la superposition d’enseignes de stations service. Car “tout est art et tous peuvent en faire” disait George Maciunas, fondateur du mouvement Fluxus. Pour Stephen Shore, tout mérite d’être photographié, des restes d’un repas pris dans un restaurant en Floride aux tentes d’un camping sauvage dans le Wyoming, en passant par des bagages défaits sur un lit d’hôtel. Avec ces 43 photographies, Stephen Shore brouille la frontière entre photographie d’art et photographie amateur.
Dans son road trip à travers les Etats-Unis des années 70, Stephen Shore immortalise des scènes de vie. Ses photographies sont des constats du monde. Elles l’inscrivent dans les pas de certains photographes du XIXème siècle qui utilisaient la photographie pour répertorier l’existant. Stephen Shore catalogue les structures pérennes ou les moments soudains. Les nuages sont immobilisés et les voitures, qui roulent sur Berverly Boulevard à Los Angeles le jour du solstice d’été, floues. Mais cette fois, la couleur renforce la véracité de ces témoignages, elle les ancre dans le monde réel. Pour lui, les photographies n’ont pas seulement une valeur esthétique, elles servent également à réfléchir à ce qu’est, intrinsèquement, la photographie. Comme le photographe William Eggleston – qui voit la photographie couleur comme une évidence puisque le monde est en couleurs – Stephen Shore hérite de la tradition documentaire de Walker Evans qu’il mêle à l’esthétique de l’instantanéité. Avec le recul, le titre ironique d’Uncommon Places semble tout à fait approprié. Car le talent de Stephen Shore est justement de transformer l’apparente banalité en ce qu'il y a de plus rare. En août 2015 dans une interview pour Numéro, Stephen Shore se confiait sur sa vision de la photographie : “En réalité, il existe deux types d’approche : synthétique et analytique. Avec une approche synthétique, vous commencez avec une toile blanche. À partir de là, vous construisez votre image, par ajouts. Elle devient plus complexe. À mes yeux, la photographie suit un processus opposé. Vous commencez avec le monde entier devant vos yeux. Et chaque décision que vous prenez réduit la part du monde que vous photographiez. Vous y mettez de l’ordre. Tout devient plus simple. Mais si, dans ce sens, chaque cliché est une transformation du monde, cela ne veut pas dire qu’il n’en contient pas pour autant une vérité.”
Toutes les photographies sont disponible sur le site Christie's