Avant d’évoquer la ville de Paris, parlons déjà de la France. Peut-être faut-il commencer par un bref préambule biographique. Quand j’avais 2 ou 3 ans, ma mère a été très malade. J’ai alors vécu avec un oncle et son épouse, qui était parisienne. J’ai passé trois mois très heureux aux côtés de cette Française qui découvrait les Pays-Bas. La langue française m’était devenue familière puisqu’elle ne parlait que le français. Par ailleurs, mes grands-parents étaient francophiles. Ils avaient vécu à Paris. Tous deux parlaient et lisaient le français. Plus tard, je me suis épris du cinéma français, de la Nouvelle Vague et de Roland Barthes. Je tenais la France en très haute estime.
Dans les années 80, j’ai été invité en tant qu’architecte à participer à des réflexions sur un nouveau modèle européen. À l’époque, la France se passionnait pour ces questions : la modernisation de l’Europe, sa monnaie et ses possibles investisseurs... J’ai participé à un plan d’urbanisme pour Lille – Euralille –, où la présence de François Mitterrand était très forte. Il y avait Pierre Mauroy, bien sûr, et les hommes politiques français les plus importants du moment. Dans cette ébullition, Paris était le lieu de l’expérimentation, l’endroit où il était possible d’articuler des ambitions novatrices, où il était permis de penser des échelles appropriées au futur, non seulement pour la ville, mais aussi pour ce contexte d’une Europe nouvelle et, par conséquent, pour un monde nouveau. Tout cela était enthousiasmant et ce fut un véritable privilège d’y prendre part. C’est dans ce contexte que j’ai vécu les événements de 1989, dont la chute du mur de Berlin. Le destin de l’Europe était la question centrale du moment. C’était un plan de réflexion ambitieux assorti de grands moyens.
En 1989, notre proposition pour la Bibliothèque nationale de France [concours finalement remporté par Dominique Perrault], faisait figure de projet qui renversait les valeurs : un bâtiment où les divisions d’une construction à étages n’étaient plus valables. Nous avions œuvré dans le plaisir d’imaginer une autre France, mais aussi une autre Europe. Malgré une série de déconvenues professionnelles [dont, outre la BnF, les concours perdus pour Les Halles en 2004, ou pour la tour Montparnasse en 2017], je n’ai aucune raison d’être déçu par Paris. Je n’ai jamais vraiment changé d’avis et je continue à travailler dans le même esprit.
Aujourd’hui, l’enjeu à Paris consiste à trouver une façon de rendre compatibles la densité, qui atteint une échelle radicalement nouvelle, et l’expérience de la ville. Je pense que cela ne fonctionnera qu’à deux conditions. D’abord il faut un investissement réel de la part de la ville pour retrouver un équilibre entre le marché, l’État et la municipalité, qui permette à ces entités de travailler ensemble. Le problème est que le secteur privé dispose aujourd’hui de davantage de moyens que le secteur public : il est nécessaire qu’un rééquilibrage s’opère entre eux. Ensuite, il faut apprendre à jouer avec tous ces éléments afin que le secteur commercial ne définisse pas à lui seul les règles du jeu, ne dicte pas toutes les lignes d’un projet, ou presque, et puisse en être tenu responsable.
Pour réaliser la Fondation d’entreprise Galeries Lafayette, nous avons patiemment dépassé les contraintes administratives et politiques, lesquelles se sont, au final, révélées des aubaines. Les architectes des Bâtiments de France sont des partenaires invisibles, mais majeurs de ce projet. L’édifice se trouve dans le quartier du Marais. Il est cerné par les limites du plan de sauvegarde, dont Malraux avait dessiné les contours. Celles-ci sont toujours les mêmes, mais les règles de protection du patrimoine ont évolué : là où elles ne protégeaient que les bâtiments antérieurs au xviie siècle, elles ont été étendues à ceux
du xixe siècle, et ce, précisément au moment de la présentation du premier projet imaginé pour la Fondation, en 2013. Mais ce qui nous est d’abord apparu comme un problème s’est finalement révélé comme une opportunité. Les services du patrimoine ont exercé une influence décisive sur le projet. Nous avons conçu plusieurs propositions : finalement, si nous avons dû réduire la surface de notre intervention, nous avons retrouvé de la liberté grâce à cette manipulation verticale engendrée par la “tour d’exposition” insérée au cœur de l’îlot.