Il en va aujourd’hui de l’art comme de la musique. Si la production des artistes est soumise à la critique, et que cette critique aide à les connaître et à comprendre leur démarche, dans certains cas, elle demeure cependant inopérante. Peu se risqueraient à analyser sérieusement le dernier album de Lady Gaga ou de Rihanna. On préférera s’intéresser au “phénomène”, aux records de ventes et de followers sur Twitter, aux “stratégies marketing”, vidéos et autres robes de créateur. Le monde de l’art, lui aussi, a ses pop stars. Elles ne portent pas encore de tenues excentriques mais leur succès – d’abord sur le marché de l’art puis auprès du grand public – leur confère, si ce n’est une légitimité incontestée, du moins une notoriété et un rayonnement mondiaux. Anish Kapoor, à l’instar de Jeff Koons ou de Damien Hirst, fait partie de ces happy few. Comme Lady Gaga ou Miley Cyrus, ces trois grands noms s’appuient sur deux logiques des plus efficaces : faire toujours plus grand (la star se doit par essence d’atteindre le ciel), mais aussi provoquer la controverse (la star a toujours fait parler, des astronomes aux voyantes en passant par les marins du Moyen Âge).
Pour l’heure, la grande rétrospective Koons au Centre Pompidou a battu des records d’affluence pour un artiste vivant (plus de 650 000 visiteurs) et c’est Anish Kapoor qui se voit invité à s’installer dans les jardins du château de Versailles. L’artiste britannique d’origine indienne est coutumier des projets d’envergure. Son Leviathan de 12 tonnes et de 35 mètres, tout en rondeur futuriste, avait séduit 280 000 visiteurs au Grand Palais en 2011. Afin de promouvoir son projet versaillais, Anish Kapoor le présente en avant-première : “L’idée de mon intervention à Versailles, déclame-t-il, n’est pas d’y déposer simplement quelques-unes de mes œuvres, comme des décorations. Le lieu n’a vraiment pas besoin d’être décoré. Ce qui m’intéresse, c’est de mettre sens dessus dessous les jardins de Le Nôtre. Je veux perturber cet objet géométrique aux perspectives parfaites qui renvoie à l’idée d’éternité pour y insérer la Nature véritable, celle qui implique le désordre, la mort, la décomposition et l’abject.” L’idée est évidemment ici de faire événement.
Anish Kapoor présente son intervention majestueuse au sein du Tapis vert, ce parterre de pelouse de 335 mètres de long. S'y trouve une vaste membrane tel un vagin rougeoyant de 60 mètres de long et de 10 mètres de haut, qui n’est pas sans rappeler son installation Marsyas dans le Turbine Hall de la Tate Modern en 2002. Un orifice comme une béance vaginale fait face au château. La structure phallique, symbole du pouvoir, se confronte à la puissance féminine issue des entrailles de la Terre. Puisque Anish Kapoor semble décidé à tirer à boulets rouges sur ce symbole éternel du pouvoir et de l’État qu’est Versailles, il ne pouvait trouver meilleur appui que son œuvre Shooting into the Corners (2009). Installé dans l’historique salle du Jeu de paume, son canon projette sur l’un des coins de salle (protégé d’un mur blanc, que les conservateurs en tout genre se rassurent) des pelotes de cire rouge de 5 à 6 kilos, qui s’y fracassent. Sanglant.
Anish Kapoor au château de Versailles, du 9 juin au 1 novembre.