Damien Hirst était attendu au tournant. Depuis sa rétrospective à la Tate en 2012 (plutôt mal reçue) la star de l’art contemporain n’avait pas eu d’exposition majeure. Surtout, son retour par la Collection Pinault à Venise promettait d’être monstrueux : à la fois dans les espaces du Palazzo Grassi et de la Pointe de la Douane, soit 4 500 m2. Pour quel résultat ?
L’exposition rassemble la centaine d’œuvres trouvées : sculptures géantes incrustées de coraux, statues grecques, sphinx en bronze, bouddha…
En 2008, une équipe aurait découvert au large de l’Afrique de l’Est une collection d’artefacts précieux enfouis sous les eaux depuis deux mille ans. L’exposition rassemblerait la centaine d’œuvres trouvées : sculptures géantes incrustées de coraux, statues grecques, sphinx en bronze, bouddha, dessins, pièces précieuses, bijoux en or… Évidemment, rien de tout cela n’est vrai. Toutes les réalisations, démesurées, à l’image du projet, sont des productions du studio de l’artiste. D’ailleurs, on retrouve parmi les pièces sorties de l’eau (des vidéos sont là pour nous le prouver) une sculpture de Mickey et celle d’un Transformer.
Escroquerie ? Non, ce que nous dit simplement Hirst, c’est que le monde de l’art aujourd’hui n’a que faire du vrai. Ses reproductions factices et souvent kitsch conviendront très bien aux collectionneurs qui s’inquiètent peu du contexte culturel, historique ou socio-économique de production d’une œuvre. Bref, de sa vérité et de sa profondeur. Il n’en reste plus que des images, reproduisibles. Une histoire éblouissante, même invraisemblable et surtout invérifiable, fera donc bien l’affaire. On préfère depuis longtemps imprimer la légende. Dans le monde de Trump, le concept de post-vérité n’est pas que politique, c’est une réalité artistique. Car la seule vérité qui vaille pour le marché de l'art, c’est que “ça vaut de l’argent”. Et la surenchère d’or et de matériaux précieux est là pour rassurer sur la valeur des pièces. Comme à son habitude, Damien Hirst met un grand coup dans la fourmilière de l’art.
Dans le monde de Trump, la post-vérité n’est pas qu’un concept politique, c’est une réalité artistique.
On passera donc tout au long de l’exposition, sans distinction, d’un bouddha à une sculpture digne de Murakami, d’un pseudo-Koons à des parchemins antiques, de figures rappelant le travail de Tracey Emin à des licornes. Comme sur un compte Instagram. Tout se ressemble, comme si le beau – la singularité découlant d’un acte créatif – n’avait plus aucune importance aujourd’hui. Tout se vaut puisque tout s’achète, au même prix, et s’expose sur le même lieu : l’antique et le contemporain, l’objet et l’œuvre. C’est un constat très dur que fait Damien Hirst à Venise. Un constat terrible sur le monde de l’art, et le monde tout court. Incapable de distinguer la vérité et le beau, par simple désintérêt. Ce n’est pas, via ces artefacts, la disparition des mondes anciens que l’artiste met en lumière, mais la fin du nôtre. Une exposition historique à plus d’un titre.
Treasures from the Wreck of the Unbelievable de Damien Hirst, du 9 avril au 3 décembre, Palazzo Grassi et Pointe de la Douane (Collection Pinault) à Venise, www.palazzograssi.it
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