En mars 2007, au moment où l’on achevait de rédiger un premier jet des protocoles d’accord en vue de la création du Louvre Abu Dhabi, une nouvelle foire d’art prenait son envol. Imaginée par deux Londoniens, le marchand d’art John Martin et le banquier Benedict Floyd, la DIFC Gulf Art Fair se lançait avec quarante galeries, attirant quelque 9000 visiteurs. À l’époque, John Martin déclarait : “On a beaucoup parlé des futurs projets de musées dans les Émirats arabes unis, mais je vois avant tout le rôle de Dubai comme celui d’un catalyseur du marché de l’art.” Onze années plus tard, l’histoire lui a donné raison. Les grandes maisons de ventes aux enchères, Christie’s et Sotheby’s, ont désormais chacune une implantation permanente à Dubai, la scène artistique des galeries locales se porte à merveille, et la DIFC Gulf Art Fair est devenue Art Dubai – la plus grande foire d’art de la région, mais aussi la plus internationale. L’édition 2018, qui accueille 103 galeries venues de 47 pays, a attiré plus de 28 000 visiteurs. Même si, à l’origine, elle s’inscrit plutôt dans une logique de profits, cette foire a toujours constitué, avec la scène artistique qui l’entoure, un lieu propice à l’échange d’idées et au partage de connaissances. Dès sa première édition, le Global Art Forum (GAF), bras armé de la foire dans sa dimension pédagogique, s’était ainsi intéressé à l’avenir de l’art et à la nécessité de faire de la culture une marque de fabrique pour les villes. Le GAF est aujourd’hui un événement mondial : cette année, des forums de discussion sur l’émergence de l’intelligence artificielle sont organisés à Londres et Dubai.
Dans tout l’émirat, le mois de mars est entièrement consacré à l’art et à la culture visuelle.
Art Dubai constitue aussi le principal temps fort de ce que l’on appelle aujourd’hui Art Week, un événement fédérant plusieurs manifestations placées sous l’égide de la Dubai Culture and Arts Authority (autrement dénommée Dubai Culture). Il mériterait d’ailleurs de s’appeler Art Month puisque dans tout l’émirat, le mois de mars est entièrement consacré à l’art et à la culture visuelle. C’est en mars que les galeries d’art commerciales – concentrées pour la plupart sur Alserkal Avenue, dans un secteur industriel de la ville – ont organisé leurs expositions les plus marquantes. Cette année, la galerie The Third Line, l’une des plus importantes de Dubai, a exposé l’Iranien Farhad Moshiri, artiste qu’elle représente depuis 2006 et dont elle a largement contribué à asseoir la renommée internationale. Lawrie Shabibi, autre bastion parmi les galeries de la ville, a accueilli l’artiste britannique Zak Ové, et la Custot Gallery, une exposition sur l’art et la bijouterie, avec notamment des œuvres d’artistes comme Alexander Calder, Niki de Saint Phalle, Antony Gormley, Jeff Koons ou Pablo Picasso. Des événements de ce calibre, il n’y en a d’ailleurs pas seulement à Dubai.
À Abu Dhabi, la galerie de la New York University – située à deux pas du Louvre Abu Dhabi – proposait une rétrospective de mi-carrière autour du tandem d’architectes Sandi Hilal et Alessandro Petti. La Sharjah Art Foundation présentait pour sa part le travail de cinq artistes essentiels de la région : Latif Al Ani, Anna Boghiguian, Mohammed Ahmed Ibrahim, Mona Saudi et Zineb Sedira. Toujours à Sharjah, la Barjeel Art Foundation, l’une des institutions les plus dynamiques du monde arabe, a exposé des toiles de Paul Guiragossian réunies auprès de collectionneurs des Émirats.
Connu dans le monde entier pour ses prestigieuses œuvres d’art urbain à grande échelle, l’artiste franco-tunisien eL Seed a établi à Dubai un studio à ciel ouvert.
Revenons à Dubai, où Art Jameel, qui y a ouvert un bureau l’an dernier, s’est associée à la londonienne Delfina Foundation pour présenter Plan for Feminist Greater Baghdad, exposition solo d’Ala Younis, qui se tient simultanément à Dubai et à Londres. Elle inclut une nouvelle installation de grande envergure, en partie fondée sur le travail réalisé par l’artiste en 2015 et présenté lors de la 56e Biennale de Venise, sous le commissariat d’Okwui Enwezor. Cette qualité de programmation, réunissant des expositions d’excellente tenue, est en quelque sorte devenue la norme dans le paysage artistique des Émirats – ce qui était impensable il y a une décennie. Mona Hauser dirige XVA, petit bijou de galerie doublée d’un hôtel-boutique qui lui sert d’écrin, niché dans le quartier historique de la ville, près de Dubai Creek. La galeriste confie qu’elle n’aurait jamais pu imaginer le succès de la scène artistique des Émirats lorsqu’elle y a lancé XVA en 2003. L’évolution qu’elle a constatée depuis dépasse ses rêves les plus fous. Il faut dire que Mona Hauser a elle-même largement contribué à cette réussite. En 2007, elle créait la Creek Art Fair, organisation reprise ensuite par Dubai Culture, qui l’a rebaptisée Sikka Art Fair, un événement parallèle à Art Dubai et dont le but est de soutenir les artistes émergents.
À la faveur de ces évolutions, les musées et institutions du monde entier viennent aujourd’hui aux Émirats arabes unis, de même que de nombreux commissaires et collectionneurs étrangers. Le pays est devenu un rendez-vous pour les universitaires, que ce soit dans le cadre de leurs recherches ou pour accéder à des symposiums comme celui sur le modernisme arabe, organisé dans le cadre d’Art Dubai. Sans compter qu’il y a encore bien d’autres choses à découvrir hors des sentiers battus. Connu dans le monde entier pour ses prestigieuses œuvres d’art urbain à grande échelle, l’artiste franco-tunisien eL Seed a établi à Dubai un studio à ciel ouvert. La ville compte aussi d’autres entités plus petites dont le but est d’encourager l’émergence de nouveaux talents, à l’image de la galerie The Mine, ouverte pour soutenir la création dans l’art, la musique, le design, les films et la mode.