1. Une œuvre dans l'œuvre
De son vivant, déjà, Michael Jackson avait construit une œuvre qui ressemblait à une performance. Coups de bistouri et blanchiments de peau en cascade, tenues de scène incandescentes, et construction d'une demeure, Neverland, digne d'un parc d'attractions… il tenait autant d'Orlan et de Sophie Calle que de son amie Madonna ou de David Bowie. Ce n'est donc pas un hasard si le roi de la pop a aimanté les peintres, plasticiens et autres artistes contemporains, à commencer par le pop art. Andy Warhol a été le premier à s'intéresser au chanteur performer, habitué comme lui du fameux nightclub new-yorkais Studio 54 : deux de ses sérigraphies sont ainsi présentées à Londres, ainsi que de superbes clichés noir et blanc. Et si on déplore l'absence de la fameuse sculpture Michael Jackson and Bubbles de Jeff Koons (ses détenteurs en ont refusé le prêt), on se console avec des photographies impressionnantes de David LaChapelle ou avec la toile de Mark Ryden Dangerous, qui orna la pochette de l’album du même nom. Elle rappelle le goût de l’interprète de Thriller pour les peintures kitsch. Michael Jackson avait commandé à de nombreux artistes des toiles le mettant en scène dans des décors du plus pur style pompier, parodiant les portraits royaux peints par de grands maîtres. Que le roi de la pop fasse son entrée au (Grand) Palais semblait ainsi prédestiné.
2. Le corps du Christ pop
Raphaëlle Delaunay, Jérôme Bel et François Chaignaud, trois chorégraphes français, célèbrent le corps en mouvement du chanteur. Son fameux moonwalk et sa gestuelle saccadée sont ressuscités à travers des vidéos et des photos de ses prestations live ou des installations plus conceptuelles. L'une des œuvres les plus saisissantes de l'exposition ? Les mocassins de l'interprète de Billie Jean suspendus à une poignée de ballons multicolores. Une pause aérienne signée Appau Junior Boakye-Yiadom. La vivacité immortelle du chanteur disparu explose également dans une installation vivifiante de Candice Breitz intitulée King. On pénètre dans une salle toute en longueur pour regarder des fans de Michael de tout âge danser et chanter ses morceaux phares en vidéo. Impossible de ne pas esquisser un début de moonwalk.
3. Une célébration de l'identité noire de Michael
L'identité noire de Michael Jackson a souvent créé la polémique. À la manière d'une Beyoncé renonçant à sa coiffure afro pour une chevelure lisse très occidentale, il a métamorphosé son visage et la couleur de sa peau, au point de dérouter la communauté afro-américaine qu'il semblait ainsi renier. Mais Michael reste bel et bien la première et la plus grande pop star noire, comme en témoigne l'œuvre de Todd Gray, photographe attitré du chanteur de 1979 à 1983. Il assemble des clichés documentaires du Ghana avec des clichés de ses fans et des images du cosmos, provoquant des questionnements sur l'identité de l'artiste. L'une des œuvres majeures de l'expo, celle de Kehinde Wiley le représentant façon Rubens en Philippe II d’Espagne à cheval, pose le même type d'interrogation. Celui qui a été choisi par Barack Obama pour le peindre, semble redonner ainsi une place majeure à Michael et aux Noirs dans l'histoire de l'art. Un questionnement repris par Jay-Z et Beyoncé lorsqu'ils se mettent en scène au Louvre dans leur clip "Apeshit". Un message qui fait sens au moment où les questions relatives à la colonisation prennent du relief et où Macron s'apprête à rendre 26 œuvres africaines au Bénin. « Black Is a Color », comme le souligne si justement l'historienne de l'art Elvan Zabunyan, dans l'ouvrage essentiel qui porte ce titre (en vente à la boutique de l'exposition). Et le Grand Palais la fait chatoyer de mille feux.