Numero : Parlez-moi de votre carrière et de votre progression.
Hugo Marchand : Je suis nantais, j’ai étudié au conservatoire pendant quatre ans puis j’ai intégré l’école de l’Opéra à 13 ans avant d’être engagé dans la compagnie à 17 ans. J’ai gravi les échelons de la compagnie jusqu'à devenir étoile. Pour moi, cela représente surtout un rêve d’enfant. C’est important de le dire car les gens pensent souvent qu’il est impossible de réaliser ses rêves. J’aime cette phrase de Henry James : "Il est temps de vivre la vie que tu t’es imaginée." Elle nous rend acteurs de notre vie. Etre danseur étoile à l’Opéra de Paris, évidemment, c’est grandir en tant qu’artiste dans une institution qui est exceptionnelle. Mais dans la mesure où le monde nous porte plus d’attention, nous avons un devoir de réverbérer certaines idées, certains messages, car nous avons la chance d’être médiatisés, plutôt que de se contenter de rester dans notre palais doré par Charles Garnier. Lorsque j'ai été nommé, je me suis dit que je devais faire quelque chose de ce titre : ce n’est pas une fin, mais un début. Il faut utiliser la danse pour sensibiliser les gens sur des questions de société. C’est ce que j’essaie de faire avec une association qui s’appelle “What dance can project”, qui est en train de lancer une école de danse au Cap. Nous sommes plusieurs à penser que lorsqu’on est étoile, on doit être un acteur de notre société. Il faut aussi continuer à démocratiser la danse, qui devient de plus en plus ouverte, mais l'Opéra, en tant qu'institution, peut aussi intimider. C’est pour cette raison que j’adore participer à des shootings ou des talk shows car à travers moi, on parle de l’opéra et de la danse. Et cela fait partie de notre travail.
Avez-vous le sentiment que votre génération d'étoiles partage une même vision de son rôle?
J’ai l’impression que la génération des années 90 voulait également faire parler de la danse et l'impliquer davantage dans la société, puis la suivante a préféré rester plus institutionnelle. Je n’ai aucune critique par rapport à ça. Simplement dans ma génération, nous voulons utiliser la danse pour émerveiller les gens, et aussi ouvrir sur d’autres sujets.
Quels sont les rôles majeurs qui vous ont forgé en tant qu’artiste ?
L'Histoire de Manon, de Kenneth McMillan, que j’ai dansé avec Dorothée Gilbert, est mon plus beau souvenir de scène. C’était la première fois que je dansais un ballet narratif qui comportait une part de théâtre, de jeu d'acteur, et j'ai eu la véritable sensation d'être un artiste. Auparavant, je faisais ce qu’on me disait de faire mais je n’arrivais pas à ajouter à l'exécution des pas quelque chose de plus personnel. Depuis, j’essaie d’utiliser chaque rôle pour devenir un artiste plus intense, plus intéressant. Je dirais aussi que Blakeworks, la création de William Forsythe, a été très intéressante parce que j'ai eu l'occasion de travailler avec lui. Ce sont ces moments de création et ces rencontres humaines qui sont fabuleuses dans nos métiers.
Quel serait le rôle de vos rêves?
La Dame aux camélias, qui est programmé la saison prochaine. Le Boléro de Maurice Béjart. Mais je pense que nous citons tous les mêmes pièces qui sont de l’ordre du génie, qui sont universelles. Peu de créateurs peuvent rassembler de la sorte. Les ballets de Pina Bausch, par exemple, sont capables de transporter les gens émotionnellement. Je trouve que le travail du danseur est aussi de remettre les grandes pièces au goût du jour en évacuant beaucoup de codes, il faut réussir à simplifier le ballet classique dans son aspect pour favoriser le contact avec l’autre, sinon les gens n’entrent pas dans notre monde. Car nous avons tellement de choses à raconter, et nous avons tous cette générosité de vouloir donner.