“Il faut être neuf sans être bizarre”, Voltaire.
Ce projet est né d’une conversation avec Thibaut Wychowanok, qui m’invitait à imaginer une rubrique pour Numéro art. Afin d’y répondre, j’ai souhaité inviter une artiste que j’aime et admire, Sheila Hicks, à produire un “objet” qui prendrait corps dans l’espace de la revue. Un monde complémentaire à son œuvre. Sheila Hicks me propose alors de lui rendre visite régulièrement à son atelier. Elle m’incite à manipuler des fils de soie et de laine, en faisant et défaisant des nœuds, avant de faire basculer ce travail manuel vers la simple observation de la main. Une main nue. Symbole absolu. La main du créateur. La main devenant matière à créer des compositions, des trames, des volumes. “J’ai plaisir à venir tous les jours à l’atelier pour travailler et associer conjointement, et à chaque étape du processus, mes yeux, ma pensée et surtout mes mains. Et souvent, je me demande comment mes mains doivent-elles agir et interargir avec la matière. Comment peuvent-elles amener mes gestes vers la réalisation d’une œuvre plastique et sensible?” me confie-t-elle.
Sheila Hicks nous invite à éprouver autrement ses formes. Elle offre un monde à voir. Une construction éphémère.
Elle décide d’élaborer une proposition qui, tout en se situant au cœur de son processus créatif, n’évoque pas directement ses œuvres. Elle crée des trames, faites de courbes et de contre-courbes, qui semblent tantôt flotter, tantôt s’affranchir du cadre de la feuille. Elle incite le regardeur à explorer différemment ses méthodes de travail. Car chaque page et chaque dessin invitent à voir, sous un nouvel angle, les structures de ces œuvres traditionnellement tissées ou nouées selon un schéma orthogonal. Elle cherche ainsi à mettre en lumière les phénomènes complexes de superposition, voire de fusion, qui sont à l’œuvre dans le travail d’atelier. Ainsi a-t-elle construit – qu’elle en soit ici vivement remerciée – une écriture inédite qui lui a permis de développer, dans le cadre de ces formes, un nouveau répertoire créé par libre association.
Cette liberté prise par Sheila Hicks symbolise aussi toutes les potentialités métaphoriques d’une œuvre qui ne s’offre jamais entièrement à la vue. En ouvrant ou en fermant, en dépliant ou en feuilletant la revue, Sheila Hicks nous invite à éprouver autrement ses formes. Elle offre un monde à voir. Une construction éphémère. Un jeu. Un simulacre. Une petite parcelle d’un monde autre.
Sheila Hicks, rétrospective au Centre Pompidou jusqu’au 30 avril.
Portrait de Sheila Hicks, photo Cristobal Zanartu