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07 Rencontre avec Louise Bourgoin et Karim Leklou, médecins surbookés de la série “Hippocrate”

Rencontre avec Louise Bourgoin et Karim Leklou, médecins surbookés de la série “Hippocrate”

Série

Trois ans après la sortie de son long-métrage Hippocrate, l'ancien médecin Thomas Lilti adapte son film en série sur Canal + avec pour têtes d'affiche Louise Bourgoin et Karim Leklou. Son point de vue ultra réaliste ringardise les séries médicales américaines. Rencontre avec les deux acteurs.

De gauche à droite : Zacharie Chasseriaud (Hugo Wagner), Louise Bourgoin (Chloé Antovska), Karim Leklou (Arben Bascha) et Alice Belaïdi (Alyson Lévêque). © Denis Rouvre / Canal+ De gauche à droite : Zacharie Chasseriaud (Hugo Wagner), Louise Bourgoin (Chloé Antovska), Karim Leklou (Arben Bascha) et Alice Belaïdi (Alyson Lévêque). © Denis Rouvre / Canal+
De gauche à droite : Zacharie Chasseriaud (Hugo Wagner), Louise Bourgoin (Chloé Antovska), Karim Leklou (Arben Bascha) et Alice Belaïdi (Alyson Lévêque). © Denis Rouvre / Canal+

Tu nous rejoins chez Alice ce soir ?” Même invité par la sculpturale Louise Bourgoin de 1,80m qui lui fait face, Karim Leklou répond par la négative. Il faut dire qu'en ce moment, l’acteur de 36 ans en lice pour le César de la Révélation 2019 n’est pas disponible. Il n'aura donc pas le loisir d'aller visionner les deux nouveaux épisodes de Hippocrate chez Alice Belaïdi, à ses côtés au casting. Après six mois de tournage, les projections hebdomadaires ont viré aux soirées entre amis... Réalisée par l’ancien médecin Thomas Lilti, la série ultra réaliste de Canal + est le prolongement de son propre film de 2014 porté par Vincent Lacoste et Reda Kateb. Mais cette fois, le synopsis est différent : à la mort d’un patient des suites d’un virus non identifié, les médecins titulaires du service de médecine interne sont mis en quarantaine pour une durée indéterminée. Trois internes inexpérimentés (Louise Bourgoin, Alice Belaïdi et Zacharie Chasseriaud) et un médecin légiste (Karim Leklou) doivent alors gérer seuls le service et les malades. Rencontre avec deux de ces héros infatigables en blouse blanche.

 

Numéro : Toutes mes félicitations Karim, vous avez été retenu parmi les Révélations 2019, vous êtes peut-être en lice pour le titre de “meilleur espoir masculin” au César ! Qui sera votre parrain ?

Louise Bourgoin : J’avais oublié ! Tu es nommé au Révélations des César ! Je vais enfin te voir en costard en février.

Karim Leklou : [Rires] Merci ! Je suis parrainé par mon ami Tahar Rahim. Il a eu la gentillesse de répondre favorablement à ma demande.

 

À propos de César, quel film vous a complètement retourné dernièrement ?

Louise Bourgoin : Manchester by the Sea de Kenneth Lonergan sans hésitation. Surtout la scène de l’aveu de Casey Affleck qui traduit parfaitement l’alchimie entre un acteur et un metteur en scène. Le lent travelling avant est incroyable tout comme la crudité du film.

Karim Leklou : Moi aussi j’ai adoré ce film ! Mais en ce qui me concerne, j’ai encore plus été frappé par Moi, Daniel Blake de Ken Loach. Beaucoup de gens font du cinéma social parce qu’ils visent les récompenses… Lui a su saisir la pudeur et la noblesse des classes populaires. Son regard sur la société anglaise est tout simplement passionnant.

 

Et côté déception, quel long-métrage décroche votre prix spécial ?

Louise Bourgoin : C’est dur de balancer… Mes proches ont souvent tendance à me vendre des “bon films” comme des chefs-d’œuvre. La seule chose qui me vient en tête c’est la deuxième saison de The Handmaid’s Tale qui, selon moi, n’est pas à la hauteur.

Karim Leklou : Si on parle de séries alors je vais dire Gomorra pour sa troisième saison très décevante. Qu’est ce qu’ils ont fait ! Ils tuent la série et osent annoncer une saison 4 ! Voilà je suis énervé maintenant.

 

 

“Nous avons tourné avec des gens qui étaient vraiment en pleine transition sexuelle. Le monologue du patient qui ne veut plus sortir de l’hôpital parce qu’on lui a explosé la gueule à l’extérieur est malheureusement une histoire vraie.” Louise Bourgoin

 

 

Même si “c’est dur de balancer” quels sont les cinéastes et les personnages qui ont compté plus que les autres dans vos carrières ?

Karim Leklou : Marie Monge. Inévitablement. Car son court-métrage Marseille la nuit a lancé la mienne. En 2015, j’ai décroché mon premier rôle au cinéma grâce à Raphaël Jacoulot et son film Coup de chaud. Je lui dois autant qu’à Katell Quillévéré pour laquelle j’ai tourné dans Suzanne et Réparer les vivants. Je suis aussi obligé de mentionner Romain Gavras, un type libre, hors système, qui prend énormément de risques. J’aime les gens qui rêvent. Lui a une vision singulière et ne copie pas les films des autres.

Louise Bourgoin : Moi c’est ma rencontre avec Nicole Garcia qui m’a marquée. C’est avec Un beau dimanche que j’ai vraiment commencé à jouer avec la caméra et ne plus en avoir peur. Je dois aussi beaucoup au long-métrage de Laurent Larivière, Je suis un soldat, car c’est la première fois que l’on a écrit un rôle spécialement pour moi.

 

Louise, vous avez rompu depuis longtemps avec les rôles comiques qui auraient pu vous coller à la peau en tant qu’ex-miss météo de Canal+. Pourquoi avoir tourné une comédie populaire cette année [Les Dents pipi et au lit] alors que vous évitiez jusqu’à présent ce genre de projet  ?

Louise Bourgoin : Aujourd’hui, nous n’avons d’autre choix que de jouer les équilibristes. Accepter des projets populaires pour décrocher ensuite des rôles qui nous plaisent davantage. Il est important de rester visible.

Karim Leklou : Louise est l’une des meilleures actrices avec lesquelles j’ai tourné. Elle a une palette de jeu extraordinaire. Elle me fascine. Bien au delà d’être une actrice de comédie elle est une actrice. Tout court. Parfois, elle me fait même penser à une Isabelle Huppert dans sa façon d’alterner entre les couleurs froides et chaudes.

 

En parlant de couleurs, récemment, la toile “Portrait of an Artist ” de David Hockney a été adjugée près de 80 millions d’euros lors d’une vente aux enchères chez Christie’s New York. Louise, vous qui êtes diplômée des Beaux-Arts de Rennes et justement fan de Hockney, pourquoi cet artiste compte-t-il tant pour vous ?

Louise Bourgoin : J’aime tout chez David Hockney, ses compositions, la délicatesse de ses dessins, ses couleurs… C’est un artiste populaire – dans le bon sens du terme – qui a maintenu ses recherches abstraites dans une perspective figurative. J’ai aussi été marquée par l’esprit rebelle de Marina Abramavic. Sa provocation, son féminisme, ses mutilations… Ses performances des années 70 m’ont d’ailleurs inspirées pour la scène du bâton dans Je suis un soldat mais comme personne en France n’a vu ce film…

 

 

“Dans les séries médicales, la plupart des incohérences sont dûes au comportement des acteurs. Les femmes sont maquillées et leur brushing est impeccable. Au bout de 20 heures de garde, le rouge à lèvre ça n’existe plus.”  Louise Bourgoin

 

“Hippocrate” – Bande-annonce

J’ai sélectionné différents commentaires de spectateurs qui ont vu Hippocrate, la nouvelle série de Thomas Lilti que vous défendez, et j’aimerais que vous réagissiez à…

Karim Leklou : Regarde comme il est mignon avec son petit carnet ! C’est vintage le carnet, ça se perd de plus en plus pendant les interview. [rires]

Louise Bourgoin : Ça pour le sérieux. Alors quel est le premier commentaire ? Je veux savoir moi.

 

J’ai adoré la série. Bourgoin joue excellemment l’arriviste meurtrie”. Une arriviste meurtrie c’est comme cela que l’on peut qualifier Chloé Antovska, votre personnage dans Hippocrate ?

Louise Bourgoin : Je ne dirais pas qu’elle est arriviste mais plutôt qu’elle est lucide et qu’elle a une grande conscience professionnelle. À cause de la mise en quarantaine des médecins, elle se retrouve dans une équipe d’internes inexpérimentés alors qu’elle est déjà en quatrième année. Chloé cherche seulement à être efficace ce qui entraine une certaine maladresse liée à l’urgence.

 

Vous êtes méconnaissable pendant huit épisodes. Votre personnage est relativement antipathique mais surprend parfois par sa bienveillance. Pourtant vous affirmez que c’est le rôle qui vous ressemble le plus…

Louise Bourgoin : J’ai découvert le personnage de Chloé Antovska sur 450 pages et non pas 100 comme pour un film. Par son côté bon élève, exigeante et pudique elle me ressemble un peu oui. J’ai presque eu l’impression qu’on m’avait espionnée.

 

Un autre téléspectateur reproche à Hippocrate de mettre en scène des personnages transgenres. Selon lui, le thème est éculé car il fait l’objet de nombreux films en ce moment.

Louise Bourgoin : C’est faux. C’est très rare. Il y a plein de gens qui ne savent pas ce qu’est un “F to M” [Female to Male]. En France, seuls trois hôpitaux prennent en charge cette transition et dans la série, on voit bien que la loi ne s’est pas encore complètement adaptée au changement d’identité des patients.

 

Dans un épisode vous vous confrontez même à un médecin plus âgé qui voit cela comme une expérimentation…

Louise Bourgoin : Nous avons tourné avec des gens qui étaient vraiment en pleine transition sexuelle. Le monologue du patient qui ne veut plus sortir de l’hôpital parce qu’on lui a explosé la gueule à l’extérieur est malheureusement une histoire vraie.

Karim Leklou: Thomas Lilti utilise un style documentaire très dur pour mieux servir la fiction. Utiliser les enjeux de la société actuelle c’est ce qu’il y a de plus intéressant. Dans les séries américaines, les failles de leur système de santé ne sont quasiment jamais abordées. Hippocrate n’est pas une œuvre politique mais sa dimension sociale est essentielle.

 

 

“Thomas Lilti est un homme de cinéma qui a réalisé tous les épisodes lui-même. Il nous est arrivé de passer une matinée complète pour ne tourner qu’une seule scène. Dans la plupart des cas, au bout de cinq heures pour une série, l’équipe lui dit  “Va te faire voir.Karim Leklou

 

 

 

Le réalisateur de la série, Thomas Lilti, donnant des indications aux acteurs. © Denis Manin / 31 Juin Films / Canal+ Le réalisateur de la série, Thomas Lilti, donnant des indications aux acteurs. © Denis Manin / 31 Juin Films / Canal+
Le réalisateur de la série, Thomas Lilti, donnant des indications aux acteurs. © Denis Manin / 31 Juin Films / Canal+

Thomas Lilti a été médecin pendant une douzaine d’années et, pour Hippocrate, il s’est inspiré de la série Urgences. Jeter un œil sur les séries américaines était-il inévitable ?

Louise Bourgoin : Il nous a en effet montré de nombreux extraits de Urgences. Souvent, le réalisme n’est qu’une affaire de gestes. Dans les séries médicales, la plupart des incohérences sont dûes au comportement des acteurs lors les scènes de réanimation par exemple. Ce qui nous frappé avec Alice Belaïdi [qui incarne la jeune interne Alyson], c’est que les femmes sont maquillées et leur brushing est impeccable. Au bout de 20 heures de garde c’est peu probable. Le rouge à lèvre ça n’existe plus. 

Karim Leklou :  J’ai toujours été allergique aux séries médicales parce qu’elles parlent davantage des personnages que de la médecine. Dans Urgences, les médecins peuvent soigner une appendicite avec une cuillère… Hippocrate, ce sont des gens face à une institution.

Louise Bourgoin : Les personnages sont vulnérables et se retrouvent face à des patients-miroir. Il y a une forme de réciprocité : en soignant, les médecins se soignent eux-même. D’ailleurs chaque personnage a une affinité particulière avec un patient Karim c’est… bon lui c’est plutôt avec sa scie sauteuse. [rires]

 

Il est vrai que votre personnage de médecin légiste en prend pour son grade Karim…

Karim Leklou : C’est Géraldine Nakache qui ne me lâche pas ! Elle joue la directrice de l’hôpital et nous avons quelques altercations tous les deux. Mais j’ai mes raisons.

 

Dans Hippocrate, contrairement aux séries américaines, les personnages ne sont que très peu sexualisés. Pourtant j’ai entendu dire que ça y allait à l’hôpital.

Karim Leklou : À ce point là ?

Louise Bourgoin : C’est parce que le personnel hospitalier est confronté au pire tous les jours. Le sexe est un exutoire et les gens font l’amour en se disant “On est vivant” ! [rires] Thomas Lilti voulait que les personnages féminins surprennent et puissent être tout aussi bien interprétés par des hommes. Chloé a quelque chose de brutal, elle est dirigiste, autoritaire… des choses qui étaient alors réservées aux hommes. À chaque fois qu’on me propose un rôle au cinéma, il y a toujours une histoire d’amour. Je suis tellement formatée que j’ai moi-même proposé une idylle avec Karim...

Karim Leklou : Et contrairement à ce que vous pouvez penser, parce que je vois votre petit sourire, je trouve ça super. Le romantisme n’est pas le propos. Si j’avais lu ça dans le scénario j’aurais certainement refusé.

© Denis Manin / 31 Juin Films / Canal+ © Denis Manin / 31 Juin Films / Canal+
© Denis Manin / 31 Juin Films / Canal+

La plupart des séries télévisées françaises font très cheap. Hippocrate, comme de nombreuses productions Canal+ échappe à cela. Est-ce simplement une question de budget ?

Louise Bourgoin : Ce n’est pas un secret, Canal+ est très cinéphile donc c’est surtout une question d’intention. Aux États-Unis comme en France, beaucoup de chaînes confient leurs séries à plusieurs metteurs en scène qui se relaient et elles perdent alors leur cohérence visuelle. La rentabilité au détriment de la qualité.

Karim Leklou : Thomas Lilti est un homme de cinéma qui a réalisé tous les épisodes lui-même. Il nous est arrivé de passer une matinée complète pour ne tourner qu’une seule scène. Dans la plupart des cas, lorsque le réalisateur d’une série télé crie “Bon ça ne va pas on recommence tout ! ” au bout de cinq heures, l’équipe lui dit  “Va te faire f…”

Louise Bourgoin : …lui dit “ça ne va pas être possible”

 

Vous avez tourné dans une aile désaffectée de l’hôpital Robert-Ballanger à Aulnay-sous-Bois (93). Y-avait-il des scènes plus difficiles à jouer que d’autres ?

Karim Leklou : Ce qui a été dur mais bénéfique pour moi, ce sont les six mois de tournage et l’exigence de Thomas Lilti. Son investissement était incroyable. D’autant qu’il est très humble ce qui est rare quand on a du succès au cinéma. Moi si j’en avais je deviendrais fou…

Louise Bourgoin : En sortant de leur gardes, de véritables soignants venaient nous voir pour faire de la figuration. Ils nous racontaient ce qu’ils avaient vu dans la journée. Nous avons même pu apercevoir une femme qui accouchait sur le parking. La scène de la réanimation de la jeune Marion m’a beaucoup marquée. Elle a nécessité une journée complète de tournage. Nous l’avons faite tellement de fois que j’ai eu l’impression de l’avoir réellement vécue.

 

Qu’apporte la série par rapport au film de 2014 ?

Karim Leklou : Ce n’est pas qu’un simple prolongement du film, loin de là.

Louise Bourgoin : Le personnage de Karim fait forcément penser à celui de Reda Kateb dans le film original et le personnage de Zacharie Chasseriaud [qui incarne le jeune interne Hugo Wagner] à celui de Vincent Lacoste. Mais la série se veut le reflet d’une société multiculturelle qui valorise enfin la femme. Contrairement au film, la série s’est féminisée car aujourd’hui, un médecin sur deux est une femme. Hippocrate est ancrée dans la politique actuelle entre la pénurie de moyens et la pression de la rentabilité de l’entreprise.

 

Une deuxième saison est en cours d’écriture et le tournage est très long. Votre implication dans ce projet ne risque-t-elle pas de mettre votre carrière au cinéma entre parenthèses si la suite rencontre elle aussi le succès ?

Louise Bourgoin : A priori il n’y aura pas plus de deux saisons car Thomas Lilti veut réaliser beaucoup de films. De mon coté je vais travailler avec Raphael Jacoulot mais aussi avec Jalil Lespert sur un long-métrage dont le tournage commence en avril. Et cet été je rejoindrai Raphaël Nadjari à Montréal, c’est un réalisateur franco-israélien.

Karim Leklou : Et moi… euh… je suis en financement [rires]

 

 

Hippocrate, saison 1, disponible sur Canal+.