Matteo Garrone a fait son entrée dans le monde du cinéma par la grande porte : après cinq films remarqués – dont Premier Amour, vainqueur de l’Ours d’argent de la meilleure musique à Berlin en 2004 – son désormais célèbre Gomorra remporte le Grand prix au Festival de Cannes en 2008. Récit de vies abîmées par le règne de la Camorra (la mafia italienne) dans une cité de Naples, le film est une brillante adaptation du roman éponyme, écrit par le journaliste Roberto Saviano. Un premier Grand prix en poche, le cinéaste ne s’arrête pas là : il en remporte un deuxième en 2012, pour son film Reality, où Aniello Arena, ancien membre de la Camorra devenu acteur en prison, campe un homme dépressif rêvant de faire carrière dans la téléréalité…
Avec son récent long-métrage, Dogman (2018), Matteo Garrone entre dans le cercle fermé des cinéastes réconciliant public et critique : en contant l’histoire de Marcello (Marcello Fonte), un toiletteur pour chien contraint de dealer pour subsister, le réalisateur italien met en garde sur les danger du populisme. Carton plein. Marcello Fonte quitte la Croisette et retrouve Naples avec un prix d’interprétation sous le bras.
“Pinocchio” (2019) de Matteo Garrone, bande-annonce.
Si noirceur, dépression, pauvreté et criminalité reviennent comme des leitmotivs dans l’œuvre de Matteo Garrone, il semblait (trop) évident pour le cinéaste italien de mettre en scène Pinocchio dans sa version la plus sombre. On aurait alors assisté à un conte pour enfants version film noir, avec déferlante d’hémoglobine et panoplies de Beretta – pour un Pinocchio 2.0 beaucoup trop glauque. Mais le réalisateur ne semble jamais se placer là où on l’attend : à l’inverse, il est plus que fidèle à l’histoire originelle imaginée par Carlo Collodi – puis reprise au cinéma par Roberto Benigni en 2002 – où un pauvre menuisier donne vie à un morceau de bois et l'aime comme un fils. En soi, rien d’innovant. Mais avec son dixième long-métrage, Matteo Garrone va plus loin.
Son audace : grimer l'acteur et cinéaste Roberto Benigni en Geppetto (le père du petit garçon en bois) alors que le réalisteur de La vie est belle (1997) a déjà porté le conte à l'écran, et lui-même interprété Pinnochio. Aujourd'hui, l'acteur de 67 ans se voit offrir un tout autre rôle – sans doute effrayant pour un acteur vieillissant –, celui du père menuisier, Geppetto. Quant à Matteo Garrone, alors qu'il semble épris des fables sur la mafia, excelle en chef d'orchestre fantastique, avec des effets spéciaux ultra maîtrisés et des touches dramatiques et humoristiques hyper calibrées. Il réussit un pari difficile pour les films fantastiques, réunissant parents nostalgiques et enfants émerveillés par les subterfuges de la mise en scène (qui fait beaucoup penser à l'univers d'un certain Tim Burton).
Et si, finalement, Matteo Garrone excellait avant tout dans un univers édulcoré ? Avec Tale of Tales, sorti en 2015 mais boudé des festivals, le réalisateur de Gomorra s’illustre pour la première fois en maître du fantastique : il adapte Le Conte des contes de Giambattista Basile et le transpose dans un monde où l'on suit aussi bien des sorciers, des fées, mais aussi des monstres, des ogres, des courtisans et des saltimbanques, campés par des acteurs stars (Salma Hayek, Vincent Cassel, Stacy Martin…).
Mais l’histoire de Pinnochio est tout sauf rose. Elle se rapproche même des drames primés du cinéaste italien : pauvreté, séparation, danger et escroquerie sont finalement les thèmes principaux du conte imaginé par Carlo Collodi en 1881. Matteo Garrone en fait une relecture actuelle, à la fois tangible et fantasmée, ne dénaturant pas l'écriture originelle : il prouve que si le monde est cruel, il sait parfois se montrer tendre et édulcoré. Son cinéma aussi.
Pinocchio (2019) de Matteo Garrone, le 4 mai sur Amazon Prime.