Des réseaux sociaux à la télévision en passant par des campagnes publicitaires ou les premiers rangs des défilés de mode : le visage et le corps de Kim Kardashian infusent notre culture populaire depuis plus de quinze ans. C’est en effet en grande partie grâce à son image que la star américaine doit sa célébrité et sa fortune. Une image façonnée à coups d'opération de chirurgie esthétique, que le documentaire Kim Kardashian Theory – diffusé actuellement sur Arte – détaille justement : les yeux, le nez, les pommettes, les lèvres, les hanches, les fesses, la taille… Tout son corps est passé au scalpel. Un corps qui symbolise la nouvelle beauté idéale, mettant en avant les courbes et les formes pulpeuses et suivie par de nombreuses femmes.
Kim Kardashian Theory : un documentaire sur Arte sur la star des réseaux sociaux
Comparable aux grands sex-symbols du XXe siècle pour sa plastique parfaite, Kim Kardashian s’en distingue néanmoins tant elle fait consciemment et volontairement de son corps un atout financier dont elle use selon son bon vouloir et ses propres conditions. Au gré de ses milliers de photographies publiées sur ses réseaux sociaux chaque année, la star s’offre au regard des centaines de millions d’abonnés (364 sur Instagram) quand elle le souhaite, où elle le veut, et comme elle l'envisage.
"Les icônes féministes peuvent aujourd'hui être des sex-symbols." Arte
Une position de pouvoir dans ses décisions et ses actions que des chercheurs interviewés par les journalistes Guillaume Erner et Nesrine Slaoui, auteurs du documentaire Arte Kim Kardashian Theory, considèrent comme féministe. C'est aussi l'avis de Meredith Jones, directrice de l’Institut de sociologie à l’université Brunel de Londres, qui définit même Kim Kardashian comme une “icône féministe” : “Les icônes féministes peuvent aujourd'hui être des sex-symbols. Le cliché d'une féministe qui n’est pas séduisante ni sexy est révolu. Les féministes peuvent ressembler à ce qu’elles veulent.”
Une affirmation qu'il faut faire entrer en résonance avec le début du succès de Kim Kardashian, en 2004. Elle faisait alors la une des journaux people suite à la diffusion non consentie d’une sextape avec son petit ami de l’époque. Mais la star américaine tourne ce coup de projecteur qui aurait pu être humiliant à son avantage, exploitant chaque coin de son nouveau statut pour construire son empire.
Assumant la sextape, elle en fait également un moyen de ré-appropriation de son corps et, pour reprendre les mots de Guillaume Erner, “transforme sa honte en or”. À tel point qu’on l’accusera des années plus tard d’avoir orchestré cet évènement aux côtés de mère et manager Kris Jenner, afin d’accéder à la notoriété… Depuis, Kim Kardashian fait en tout cas de sa sexualité une marque de fabrique, se définissant comme une femme libre d’user de son corps comme elle l’entend – au détriment, autant qu'au profit, du male gaze.
Kim Kardashian, une self-made woman ?
Parmi les arguments avancés en faveur d’une Kim Kardashian féministe, on retrouve fréquemment celui de son statut de business woman à la tête d'un empire financier sans pareil. Mère célibataire, fondatrice et directrice de nombreuses marques de beauté et de vêtements (dont Skims), star d’une émission de télé-réalité, reine des influenceuses : les casquettes de l’Américaine sont en effet nombreuses, cette dernière n’hésitant pas à les mettre fréquemment en avant dans un élan de “girl power” qui, pour certains, sonne pourtant creux. Si la star se définit comme une self-made woman auréolée de succès grâce à sa détermination, le documentaire Arte rappelle néanmoins qu’elle n’est pas partie de rien. Fille d’un célèbre avocat (Robert Kardashian) et belle-fille d’une ex-sportive de haut-niveau (Caitlyn Jenner), Kim Kardashian est loin d’avoir grandi dans la pauvreté.
Kris Jenner et la puissance du matriarcat
Mais peu importe les raisons de son succès ou son background : ce qui compte aujourd'hui, ce sont les façons dont elle l’utilise. Participant à sa notoriété, l’émission de télé-réalité Keeping Up With the Kardashians permet notamment de mettre en avant, selon les termes de Meredith Jones dans le documentaire Kim Kardashian Theory, une nouvelle conception du “matriarcat”: “Dans ce show, les hommes ne sont que des blagues et ce sont toujours les femmes qui semblent être puissantes et dignes d’intérêt”. Il n’y a d’ailleurs qu’à observer le succès des membres du clan Kardashian : chacune des filles de Kris Jenner, de Kourtney à Khloe en passant par Kylie et Kendall, a façonné son propre empire – et ce, sans l’appui ou la notoriété d’un homme.
À une époque où toutes les normes et les diktats qui régissent notre société sont remis en question, Kim Kardashian s’impose ainsi comme l’incarnation même de notre monde contemporain, dont elle réunirait toutes les contradictions et les évolutions. En particulier lorsqu’elle s’impose comme une icône féministe, s’assujettissant au male gaze pour mieux le contrôler – tout en s’asseyant par la même occasion à la table des dominants. Elle était en effet à la maison blanche, aux côtés de l’ancien président Donald Trump en 2018, après avoir milité pour la libération d'Alice Marie Johnson, une femme afro-américaine accusée à tort de meurtre et emprisonnée depuis vingt ans. Difficile de nier le pouvoir - politique - de l'influenceuse...
Kim Kardashian Theory (2024), par Guillaume Erner et Nesrine Slaoui, disponible sur Arte jusqu’au 26 novembre 2026.