Le temps passe plus vite pour Kylian Mbappé que pour d’autres. Pour autant, ça ne nous dit pas où il va. Un samedi de la mi-décembre, au siège de son association Inspired by KM à Neuilly-sur-Seine : deux grands bâtiments séparés par un jardin où coule un ruisseau, luxe de quiétude extravagant à moins de trois cents mètres d’une ligne de métro. Grands volumes, verrières, ouvertures permettant à la lumière de traverser les pièces d’est en ouest: une transparence du lieu contrariée par l’étrangeté humide et voilée d’un matin d’hiver.
Un au-delà du foot, à moins qu’il ne s’agisse de ce que le foot est devenu, et plus précisément des portes qu’il permet d’ouvrir. Ce matin-là, le jeu reviendra rarement et seulement par flashs dans les expressions et sourires du champion du monde 2018. Mbappé est footballeur, c’est entendu. Mais, à 22 ans, il est déjà autre chose. Il porte une industrie : le foot français et la Ligue 1, laminés par le coronavirus qui anémie le marché des transferts et le défaut de paiement de son principal diffuseur [la chaîne Mediapro, qui avait raflé tous les droits de diffusion de la Ligue 1, a été déclarée en cessation de paiements]. Il est aussi en charge de l’image d’un “club-État”, ce Paris Saint-Germain dont le Qatar a fait son principal vecteur de communication à l’export. Plus des choses dont vous et moi n’avons pas idée. La veille, il était reçu à l’Élysée. Où il a navigué avec le plus grand naturel, là comme ailleurs.
“J’ai vu arriver Gianluigi Buffon au PSG alors qu’il avait 40 ans. Tout l’inverse du type qui vient chercher un dernier petit contrat: il avait la passion du matin au soir et ça, tu pouvais même t’en rendre compte quand il avait une conversation avec le gardien du parking.”
Lancée en janvier 2020, son association Inspired by KM accompagne 49 filles et autant de garçons nés entre 2003 et 2010 dont l’éducation, prise en charge par le système scolaire classique, est selon l’un des porteurs du projet “optimisée” à tous les étages, depuis les cours de soutien à la moindre alerte jusqu’à des ateliers de sensibilisation divers (peinture, cuisine, équitation, etc.) ou des séances d’escalade pour combattre le surpoids, avec pour objectif de les emmener au seuil d’un projet professionnel viable. Chaque enfant doit verbaliser son propre chemin. Mbappé n’en fait pas mystère: ces jeunes, multipliant les sorties culturelles, séjours et activités d’éveil, racontent en fait la propre enfance du joueur. Sa mère, Fayza, avait six frères et sœurs, son père, Wilfried, trois, et la plupart d’entre eux ont été et sont toujours très proches. Pour avoir été le tout premier enfant issu de cette grande fratrie, Kylian a, dès sa naissance, été l’objet de l’attention exclusive de tous.
Sans que le foot n’ait alors quoi que ce soit à y voir. L’intéressé assure avoir eu “la meilleure éducation possible” : elle se mesure tout simplement à l’aune du soutien qu’il a reçu de ses proches. “Quand sa mère le ramenait à Clairefontaine [centre d’élite de formation du foot français] à la fin du week-end, elle faisait un crochet par le Val-de-Marne, où j’habitais à l’époque, explique l’une de ses tantes. Je suis prof d’anglais, mon mari enseigne les maths : on lui donnait deux heures de cours chacun et il repartait.” Le tout augmenté d’une culture de l’entraide débordant du cadre familial, bien vivace à Bondy, la banlieue parisienne où l’enfant roi du foot a grandi : “Tu donnes un coup de main en physique-chimie au fils du voisin, son père te monte tes étagères”, résume-t-elle.
Quand on l’invite à s’exprimer sur son enfance, l’intéressé hésite un peu. Un proche nous avait prévenus : “Il grandit en public depuis ses débuts à Monaco [au niveau professionnel] à 16ans. Si on raconte aussi l’enfant qu’il était, qu’est-ce qui va lui rester?” Récemment, il a commencé par y revenir un peu plus volontiers. “J’avais beaucoup d’enseignants dans ma famille, je crois que l’idée [d’Inspired by KM] vient de là. On fait du mieux qu’on peut. Chez les enfants, il y a une part de rêve, d’innocence qui me renvoie à ce que j’étais il n’y a pas très longtemps. [Sourire.] Enfin si, c’est lointain sans l’être, en fait. Quand tu joues au foot, il faut garder quelque chose qui ressemble à ça. Réfléchir comme un adulte, ce n’est pas possible. Quand je me lève le matin pour aller à l’entraînement, je ne vais pas au boulot. Je ne vais pas chercher un salaire. Le jour où ce ne sera plus le cas, je vous assure que ce sera terminé. J’ai vu arriver Gianluigi Buffon [gardien italien, 176 sélections] au PSG alors qu’il avait 40 ans. Tout l’inverse du type qui vient chercher un dernier petit contrat: il avait la passion du matin au soir et ça, tu pouvais même t’en rendre compte quand il avait une conversation avec le gardien du parking. Il adorait parler aux gens, Buffon avait plein de petites attentions. Un mec simple. Mais les plus grands sont les plus simples.”