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Paris 2024 : dans les coulisses des Jeux Olympiques (épisode 5/10)

LIFESTYLE

Outre leur aspect sportif, les Jeux Olympiques 2024 mettent également en avant un volet social et inclusif, et un autre écologique, qui nécessitent la coopération étroite de multiples acteurs de secteurs divers. À l'approche des JO, Numéro revient ici sur la préparation de cet événement en dix épisodes, au fil d’une chronique racontée à la première personne, articulant les interventions de personnalités majeures. Au programme de ce cinquième volet : l'attribution des JO et l'ambition de Paris de créer des Jeux plus éthiques…

Des lieux parisiens emblématiques (place de la Concorde, Trocadéro, tour Eiffel, Invalides...) deviendront des sites de compétition. Mais des enjeux moins visibles redessinent eux aussi la capitale : un bassin de rétention des eaux usées souterrain a été creusé à Austerlitz pour permettre les épreuves qui nécessitent la baignade dans la Seine © Mario Palmieri.

La 131e session du CIO a lieu à Lima, au Pérou, du 13 au 16 septembre 2017. Les jeux sont faits, l’attribution des JO 2024 à la candidature parisienne est officiellement actée.

 

À Lima, la naissance officielle de Paris 2024

 

Tony Estanguet : À Lima, c’était génial. On était dans le match jusqu’à Lausanne, et là-bas, on est arrivé plus détendu. Même si on ne lâchait rien, c’était très festif.

 

Teddy Riner : Quand on a gagné, cela a été quelque chose d’extraordinaire. Au Pérou, il y a eu une super fête, une bonne ambiance, on était super fier de gagner ces Jeux, de rapporter ça à la maison. Lima, je pense que c’est gravé pour toujours.

 

Tony Estanguet : La fête dans le vol de retour, quand Teddy prend le micro et fait rire toute la délégation, c’était fort. Teddy était important, champion olympique, star du sport français, leader. On sent en lui une grande fierté qui, pour nous, était centrale après le traumatisme de Singapour, quand on était tous au fond du seau. Voir les athlètes français les plus iconiques et charismatiques être aussi heureux et aussi mobilisateurs, c’était une vraie satisfaction.

 

Étienne Thobois : Ryadh Sallem, un athlète en fauteuil, a eu les bons mots : “C’est comme ton premier enfant, tu sais à l’avance que l’accouchement va avoir lieu, mais c’est quand même le plus beau jour de ta vie.” C’était à la fois un soulagement, une énorme joie et une forme de mise en responsabilité. C’est l’ancien directeur exécutif des jeux Olympiques, Gilbert Felli, qui disait : “Your dream comes true, your nightmare begins.” [“Votre rêve se réalise, votre cauchemar débute.”]

 

En septembre 2017, tous les indicateurs sont au beau fixe. Selon un sondage réalisé par l’IFOP, 83 % des Français estiment que les Jeux Olympiques de Paris 2024 sont une “bonne nouvelle” pour le pays. Le COJOP voit le jour, avec Tony Estanguet à sa tête. L’ambition parisienne de proposer des JO novateurs et écologiques se confronte à la réalité.

 

Des Jeux nouveaux ?

 

Tony Estanguet : Un deuxième chapitre s’ouvre, celui de l’organisation. Tout de suite, la réalité prend le dessus. Il y a un monde entre mettre une idée dans un dossier et le fait que cette idée se réalise. On passe de “ce serait chouette” à des objectifs précis.

 

Étienne Thobois : Six mois après l’attribution des Jeux, on comprend que les lignes 16 et 17 du métro Grand Paris Express ne seront pas livrées à temps. On a donc fini par changer des sites de compétition [des épreuves de natation ont été déplacées de Saint-Denis à Nanterre, en partie à cause de cela] et on a repensé l’accès au village des médias du Bourget. On a aussi découvert qu’on n’arriverait pas à poser le centre de tir à La Courneuve suite à des études environnementales un peu plus poussées au parc Georges-Valbon, nous forçant à migrer vers Châteauroux en 2022. La tour des juges pour l’épreuve de surf à Tahiti a suscité un gros battage médiatique [des associations ont dénoncé son impact sur l’environnement], mais il y a tout le temps des sujets techniques avec Paris 2024. C’est un projet de 4 milliards d’euros.

 

Selon les chiffres officiels, Paris 2024 dispose d’un budget de 4,397 milliards d’euros (hors ouvrages), financé à 96 % par des revenus privés : ventes de billets (32 %), partenariats domestiques (28 %), contribution du CIO au titre des droits TV (17 %) et du programme de marketing global TOP (11 %). Le reste est assuré par le merchandising. Les 4 % de financements publics sont fléchés vers les Jeux Paralympiques, dont le modèle économique n’est “pas encore mûr”, selon le COJOP.

 

Étienne Thobois : Nous gérons des détails en permanence. Pendant les Jeux Olympiques, nous allons opérer sur 35 sites de compétition. Donc tous les jours, depuis des années, nous réglons des sujets complexes de par leur nature, de par les seuils. Le village olympique, par exemple, c’est un hôtel de 12 500 lits, vous imaginez la logistique... Manager 42 000 chambres d’hôtel dans Paris, faire tourner 1 300 bus, 4 000 véhicules légers, ce n’est pas rien. On doit se préparer à devenir ex nihilo le deuxième opérateur de transport en France, pour le déplacement des accrédités, une opération équivalente aux transports publics de Lyon pendant trois semaines. En termes de nourriture, nous servirons à peu près 13 millions de repas et de snacks. C’est ce que sert la ville de Paris pour les cantines scolaires pendant une année.

 

Tony Estanguet : Ce sont des équilibres économiques, politiques, sociaux et sportifs pleins de complexité, surtout dans les périodes compliquées que nous avons traversées et traversons encore, comme les “gilets jaunes”, la pandémie, les guerres et l’inflation. Mais on a tenu bon, quasiment dans les clous du budget prévu au départ. Et avec la même ambition. [Selon la fondation Ifrap, le budget de Paris 2024 était chiffré à 3,9 milliards d’euros en 2021, avant de passer à 4,4 milliards en 2022, soit 10 % d’augmentation.]

 

Étienne Thobois : La dureté des années 2010 à Paris, et notamment les attentats subis par la capitale, a été prise en compte dans notre réflexion. Par la force des choses. Faire des Jeux une véritable plateforme, c’est le sens de notre slogan, “Ouvrons grand les Jeux”. Fiers de nos valeurs en tant que pays et mouvement olympique, on pense que le sport est un vecteur pour repousser ses limites, mais qu’il a aussi quelque chose à dire en termes d’inclusion et d’universalité, avec des personnes de différentes origines sociales et religions. Nous portons de grands messages sur l’égalité hommes-femmes et l’environnement. On ne courbe pas l’échine.

 

Les Jeux Olympiques, pointés à juste titre pour leur gigantisme, provoquent de nombreuses réflexions et critiques sur leur impact écologique. Pour la première fois avec Paris 2024, l’une des cadres dirigeants du Comité d’organisation gère l’excellence environnementale. Ancienne de la fonction publique et d’ENGIE, la Franco-Italo-Argentine Georgina Grenon accomplit cette mission au sein du COJOP dès le mois d’août 2018. L’objectif ? Réduire drastiquement les émissions de CO2 par rapport aux JO précédents.

 

Georgina Grenon, directrice de l’excellence environnementale Paris 2024 : L’ambition écologique des JO de Paris est très importante. 95 % des sites de compétition sont soit éphémères, soit déjà existants. On construit peu par rapport aux Jeux précédents. On souhaite aussi mettre en place une réduction de moitié de notre empreinte carbone par rapport à la moyenne des Jeux de Londres et de Rio. Dès la candidature, le cahier des charges était costaud, mais c’est ce qui est fascinant : la possibilité de rendre un tel événement plus responsable et d’en profiter pour donner un coup d’accélérateur à la transition écologique. Par exemple, les 17 millions de boissons et les 13 millions de repas ont été repensés. Un repas aux JO de Paris 2024 aura la moitié de l’impact carbone d’un repas français moyen. Pour cela, on double la part de végétal, on réduit de 50 % l’utilisation du plastique à usage unique, on se source en local, on construit des menus de saison.

 

L’une des particularités de Paris 2024 est d’inscrire les épreuves sportives dans la ville, de la place de la Concorde au Trocadéro, en passant par les Invalides ou la tour Eiffel. Ce qui a occasionné quelques surprises pour Georgina Grenon...

 

Georgina Grenon : Pour atteindre notre objectif des premiers JO alimentés à 100 % en énergies renouvelables, je pensais qu’il serait facile de s’approvisionner. Mais acheminer cette électricité renouvelable nécessite des câbles. Et il n’y en avait pas assez. On a appris qu’au pied de la tour Eiffel, par exemple, il n’y avait pas la puissance nécessaire pour notre stade de beach-volley. Des événements comme le feu d’artifice ou le spectacle du 14 Juillet se tiennent grâce à des groupes électrogènes, ce que je ne savais pas. Le Stade de France fonctionne de la même manière. Il a fallu tout changer ! Un jour de match au Stade de France consomme environ 10 000 litres de diesel. Pour les JO de Londres en 2012, quatre millions de litres de diesel ont été brûlés afin de fournir l’électricité. Pour nous, c’était impensable. Nous avons donc travaillé avec Enedis [gestionnaire du réseau électrique public] pour que tout le raccordement additionnel soit fait. Il a fallu tirer des câbles et convaincre le broadcaster [opérateur en charge de fournir des images de l’événement au monde entier] que notre système serait plus fiable. Cette mesure s’inscrit comme un héritage de Paris 2024. La demande du gouvernement et du ministère des Sports est qu’à partir de 2024 tous les stades opèrent sans groupes électrogènes. Si Paris 2024 fait sans, tout le monde peut faire sans. Ce sera autant d’opportunités pour que le sport et l’événementiel réduisent leurs émissions.