Autoportrait Polaroid, Haider Ackermann.
La mode homme n’intéressait pas Haider Ackermann jusqu’à ce qu’il soit invité, en 2010, à Florence, par Pitti Immagine qui organise le plus grand salon d’habillement masculin au monde. Elle ne l’intéressait pas à titre professionnel s’entend, car sinon il fait partie de ces hommes qui ont une classe folle, un je-ne-sais- quoi de chic et de pas calculé dans la façon de s’approprier des vêtements, de les superposer et de les draper à la manière de ces étoles qu’il jette souvent par-dessus son épaule.
Ses toutes premières silhouettes de dandy dévoilées en Italie n’étaient d’ailleurs pas destinées à être commercialisées. C’était une carte blanche, un exercice de création libre en complément de sa mode féminine. Dans la cour d’un palazzo éclairée à la bougie, seuls quelques hommes emboîtaient le pas à ses femmes d’une élégance rare avec leurs panoplies oscillant entre couture floue et coupe tailleur. Les tenues masculines jouaient sur le même registre de style sans confondre les genres. Plusieurs acheteurs professionnels ont insisté pour les commander. Une ligne masculine à part entière a fini par être lancée. Des défilés dédiés ont même eu lieu dans des endroits chargés d’histoire à Paris, avant qu’Ackermann revienne plus récemment à une présentation mixte.
Entre-temps, il faut dire que ce Français d’origine colombienne formé à l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers a été quelque peu échaudé par l’univers de la mode homme. Depuis le lancement de sa marque en 2001, il n’avait eu de cesse de répéter qu’il souhaitait se consacrer à 100 % à sa maison. À partir de 2005, Anne Chapelle, la partenaire financière de la créatrice Ann Demeulemeester, l’avait pris sous son aile dans ce but. Mais quelque dix ans plus tard, cela n’a pas empêché Ackermann de céder au chant des sirènes du groupe LVMH qui lui proposait la direction artistique du bottier Berluti ayant étendu son activité à l’ensemble du dressing masculin depuis quelques années. Le prêt-à-porter formel n’était pas sa spécialité, mais une précision tailleur affleurait souvent dans ses collections féminines. Il n’avait pas non plus d’expérience dans les accessoires, les souliers et la maroquinerie, mais il s’était familiarisé avec le travail du cuir, au tout début de sa carrière, quand la maison italienne Ruffo avait fait appel à ses services pour sa ligne Research qui était confiée, à l’époque, à une direction artistique différente toutes les deux saisons.
Haider Ackermann a présenté sa première collection pour Berluti en janvier 2017. Ont suivi deux autres défilés où il a retravaillé de beaux classiques dans des cuirs sublimes et des coloris d’une grande finesse, avant qu’il ne soit remplacé par Kris Van Assche en provenance de Dior Homme, ce dernier étant lui-même éclipsé par Kim Jones en poste chez Louis Vuitton jusqu’à récemment... Les grands groupes de luxe s’adonnent parfois à des jeux de chaises musicales desquels les designers formés à l’école belge ressortent rarement gagnants. En termes de revenus, doit-on préciser, car, sinon, la mission écourtée d’Haider Ackermann lui a fait passer un cap au niveau de sa mode personnelle.
Pour hommes comme pour femmes, sa silhouette s’est affirmée depuis son passage chez Berluti. Ses références sont plus subtiles. On croit reconnaître des tenues croisées lors d’un voyage dans un pays avec des traditions vestimentaires particulières, que l’on a vues dans un film ou un livre consacré à des ailleurs. Elles doivent renvoyer à son enfance trimballée dans plusieurs pays d’Afrique et d’Europe, au gré des affectations de son père cartographe. Les collections d’Haider Ackermann ne sont cependant pas une succession de cartes postales. Au fil des saisons, il est parvenu à creuser un sillon personnel et racé comme peu de designers de sa génération. Un style à part qui inclut des pièces pour hommes sans jamais verser dans les classiques.