Il se dégage de Spencer Phipps une aura particulièrement cool. Au sens propre du mot. C’est un grand type relax, sympa, que l’on imagine sans ego surdimensionné, comme cela est souvent le cas dans le secteur de la mode. Né à San Francisco, installé en Europe depuis plusieurs années, il a gardé de son adolescence en Californie un esprit libre et anticonformiste. À 36 ans, il a déjà eu plusieurs vies dans son domaine de prédilection. “J’ai découvert la mode lorsque j’étais adolescent. Le côté spectacle des défilés m’a tout de suite fasciné. C’était l’époque des shows de John Galliano, d’Alexander McQueen... C’était le théâtre, pour moi ! Mais les univers de Tom Ford, Martin Margiela ou Marc Jacobs m’intéressaient tout autant, même si ce sont des mondes très différents.” À New York, il étudie les fondements de son métier à la Parsons School, puis il rejoint le studio de création de Marc Jacobs à la mode masculine, pendant sept ans. C’est là qu’il appréhende au plus près le fonctionnement d’une grande maison, en effervescence permanente. “J’ai ensuite rejoint l’équipe de Dries Van Noten, à Anvers, pendant trois ans. Changement radical ! C’était beaucoup plus silencieux. [Rires.] Il y a un côté très cérébral dans l’approche de la mode belge, on intellectualise beaucoup les vêtements, ça en devient presque drôle.” Ces expériences des deux côtés de l’Atlantique ont affûté son regard, affiné sa propre vision. “La mode est évidemment beaucoup plus décontractée aux États-Unis, ce n’est pas une légende ! De plus, toute l’histoire de cette discipline se trouve en Europe, à Paris plus particulièrement. Depuis combien de temps la Fédération de la haute couture et de la mode existe-t-elle ici ? Deux cents ans ? [Elle a fêté ses 150 ans en 2018.] Aux États-Unis, cela doit faire cinquante ans à peine [soixante en réalité] que le CFDA [Council of Fashion Designers of America] existe !”
Phipps, collection printemps-été 2022
C’est en 2018 que le créateur lance son label Phipps et s’installe à Paris car, pour lui, c’est ici qu’il faut être et nulle part ailleurs. S’exprimer sur le vestiaire masculin plutôt que féminin lui est tout de suite apparu comme une évidence : “C’est plus facile pour moi. J’aime bien les règles, les choses structurées. Les vêtements masculins sont comme ça. Il y a un pantalon, une veste, une chemise... C’est un vestiaire basé sur une réalité, et cela me plaît.” Cependant, “réalité” ne veut pas forcément dire “ennui”, surtout chez Spencer Phipps. Imprimés camouflage ou fleuris revisités façon symboles tribaux, couleurs saturées sur des parkas zippées, pantalons courts bicolores, polos de sport customisés ou encore jupes et pantalons au motif léopard déstructuré... l’Américain ne s’interdit rien et propose une mode taillée pour lui : “J’imagine avant tout des vêtements que je veux porter, donc, oui, cela me ressemble. Il y a notamment des éléments issus du vestiaire de l’escalade, sport dont je suis un grand adepte.” L’autre obsession du créateur ? Les pièces vintage, qu’il chine dans les friperies de Los Angeles et qu’il s’amuse à customiser selon ses envies pour les proposer sur son site Internet, sous le nom de Gold Label Vintage. “Ce surcyclage prend une part grandissante dans mon travail, c’est un terrain de jeu qui me plaît beaucoup et qui marche très bien !” Et cela répond parfaitement aux préoccupations environnementales de ce grand gaillard, nourri au plein air et aux grands espaces naturels.