Dans Woman, l’un des courts-métrages qu’il a réalisé, Gystère imagine une super-héroïne qui combat les bavures policières, épaulée par un dauphin pilote de vaisseau spatial… Lorsque il a écrit ce scénario, il était parfaitement sobre. Vidéaste halluciné, auteur de BD bavardes et jubilatoires, c’est un EP que l’artiste défend aujourd’hui : Womxn/Time Machine, diptyque psyché entre slow funk et tropicalisme brésilien. Le premier volet de l’album Little Story. En filigrane, des revendications afrofuturistes, “cyberculture du XXe siècle au service d’une réappropriation imaginaire de l’expérience et de l’identité noire.”* L’imagerie extravagante de Gystère en rebutera certains, le kitsch est poussé à son paroxysme. Mais sa musique demeure exigeante : elle ne se consomme pas, elle s'écoute.
Sa musique est à l’image des toiles qu’il peint à ses heures perdues : des dégradés à n’en plus finir. Une fièvre pop où s’invitent des accords de soul pure et quelques rythmes calypso.
Casque de scooter rouge pétant sous le bras, le trentenaire débarque avec la sérénité d’un lord. Autour de son cou, trois breloques qui en disent long sur ce personnage fantasque coiffé de dreadlocks qui vous regarde du haut de ses 1,90m. Un portrait de sa mère incrusté sur un pendentif de marabout, un badge de son groupe et un poing en bois, sorte de totem qu’il trimballe depuis plusieurs années… Gystère impressionne. Mais le colosse désamorce aussitôt : “Je suis assez timide… À la fin des morceaux, quand je me retrouve en silence face au public, sous un éclairage de Salon du livre, je ne sais jamais quoi dire.” Ce trait de caractère explique – en partie –, sa méthode de composition. Pour éviter cette relation gênante avec la fosse, il a décidé de ne jamais s’interrompre.
Womxn/Time Machine est le lieu de rencontre entre l’académisme du pianiste Burt Bacharach et l’improbable film Moonwalker avec Michael Jackson dans des scènes noires irréelles.
“Time Machine” de Gystère.
Né en 2009, Little Story consiste en une suite de sept morceaux frénétiques, du funk au rock progressif. À l’époque, l’artiste afro-brésilien croule sous les maquettes. Il propose donc une sorte d’album qui, loin de la forme conventionnelle couplet/refrain, s’écoute d’une traite. Sur le modèle de la musique classique et du groupe britannique Yes, les titres se quittent pour mieux se rejoindre, à grand renfort de leitmotiv : “Je voulais proposer un album-concept. Pas une compilation de chansons indépendantes. J’aime qu’un thème musical revienne sans cesse, comme dans une bande originale.” Pour comprendre l’enjeu de Little Story, il faut remonter le temps, jusque son “traumatisme du fade out”, la diminution progressive du volume en fin de morceau, un procédé aujourd’hui désuet : “Petit, chaque fois qu’un vinyle se terminait, je poussais le son au maximum pour distinguer les ultimes notes avant que le titre suivant ne commence”, se remémore-t-il.
“La bonne mélodie est celle qui passe le crash-test de la trompette. Si elle peut être jouée seule par cet instrument et générer une émotion, alors c’est une mélodie convaincante.”
La méthode de Gystère donne du fil à retordre au label Sodasound. Pour le diptyque Womxn/Time Machine, l’ingénieur du son devait travailler les enregistrements sur une seule et même session, sans distinguer les morceaux. Une sorte de plan-séquence musical. D’autant que sa musique est à l’image des toiles qu’il peint à ses heures perdues : des dégradés à n’en plus finir. Une fièvre pop où s’invitent des accords de soul pure et quelques rythmes calypso, style carnavalesque des Caraïbes qui a fortement influencé le ska dans les années 60. En résumé, Womxn/Time Machine est le lieu de rencontre entre l’académisme du pianiste Burt Bacharach (Raindrops Keep Falling…) et l’improbable film Moonwalker (1988) avec Michael Jackson dans des scènes noires irréelles.
Fan inconditionnel du Californien Roy Ayers, Gystère reste un incroyable inventeur de mélodies, malgré ses problèmes de concentration. Entre quelques envolées ponctuées de : “J’ai oublié la question…”, il révèle son secret : “La bonne mélodie est celle qui passe le crash-test de la trompette. Si elle peut être jouée seule par cet instrument et générer une émotion, alors c’est une mélodie convaincante.”
DJ, pianiste pour Cerrone, compositeur pour l’émission de télévision le Grand Journal… Gystère fait ses armes dans les années 2000 avec les premières parties de Stromae ou du rappeur Saul Williams. Lorsque son label lui demande de concocter un single, il propose Mxnsplanation, projet fleuve constitué de différents morceaux, de clips et de courtes émissions à l’esthétique VHS : le Gystère show. Une fois encore, il part dans tous les sens.
Avec un bagage musical vintage, Gystère a produit un EP intemporel. Womxn/Time Machine n’est pas vraiment moderne car : “Tout ce qui est moderne finit par vieillir.” L’artiste évolue au sein d’un R’n’B libre et sans contrainte, un genre pas vraiment codifié où ses délires les plus fous peuvent s’exprimer pleinement : “J’aime dire que je fais du R’n’B. Cela étonne les gens. Ils se demandent si on a vraiment le droit de faire ça dans le R’n’B, sourit-il, et puis je ne supporte pas que les journalistes comparent les musiciens entre eux. Je n’ai aucune envie d’être le copain artistique de tel ou tel type.” L’air rêveur, Gystère conclut en une phrase, elle en dit long sur le temps passé derrière son piano: “Je ne suis pleinement satisfait que lorsque je suis jaloux de ce que j’ai composé.”
*Mark Dery, 1994, Black to the Future.
Womxn/Time Machine de Gystère [Sodasound], disponible. L’album Little Story sortira prochainement.
Gystère & Sunset Roller Coaster, en concert à La Maroquinerie le 19 juin.