Il faudra bien réécouter le morceau une demi-douzaine de fois avant de distinguer la mélodie de Sans contrefaçon, le tube emblématique de Mylène Farmer sorti en 1987. Au piano, les notes argentées de Joseph Schiano di Lombo effleurent en effet le thème principal mais sans jamais s’y abandonner franchement. La délicatesse est de mise, comme si la voix éthérée de la chanteuse hantait la partition.
Le talentueux Français ne se met aucune barrière, pastichant dans cette audacieuse reprise deux monstres sacrés du répertoire, Erik Satie, puis Claude Debussy. Un faussaire d’un nouveau genre, fasciné par la réécriture et obsédé par l’effacement. “Mes contrefaçons musicales sont assez ironiques, sourit-il, j’aime la façon dont le mythe de Don Juan de Tirso de Molina a été réinterprété par Molière, puis repensé par Mozart dans son opéra. Au début, j’ai repris le titre de Mylène de façon très littérale... mais ça m’emmerdait profondément. Je me suis donc amusé à le tourner à la manière de Satie puis de Debussy. J’ai effacé une note sur quatre, vous chanterez la note manquante.”
Joseph Schiano di Lombo – “Sans contrefaçon” (façon Satie) - Live at CBE Studio
Les transformations du morceau de Mylène Farmer ont nécessité plusieurs mois d’écriture. Pour la première version, Joseph Schiano di Lombo utilise le système pentatonique cher à Claude Debussy (1862-1918) – une échelle musicale constituée de cinq sons –, et s’autorise quelques envolées techniques que le compositeur, de son côté, associait aux vibrations de la peinture impressionniste. Pour la seconde, il calque Sans contrefaçon sur le modèle des Gymnopédies d’Erik Satie (1866-1925), un musicien radicalement opposé aux conventions de la période romantique. Le pianiste transpose le morceau vers une mesure à trois temps, ralentit la mélodie et utilise la méthode de la pompe : une basse, puis un accord, une autre basse, puis un accord.
“Un dessin inachevé est bien plus complet. Il laisse à celui qui le regarde la possibilité de le compléter mentalement.”
Joseph Schiano di Lombo n’en est pas à son coup d’essai. À l’origine de ses étranges reprises, un simple défi sur les réseaux sociaux. Il y a quelques mois, un ami lui propose d’interpréter le générique de la série Stranger Things. Le concertiste publie la vidéo et, à son grand étonnement, suscite l’engouement de ses followers : “Une fille m’a comparé à un DJ de mariage qui croule sous les requêtes. Elle m’a demandé du Jennifer Lopez... j’ai donc repris If You Had My Love [1999]. Puis je suis complètement parti en free-style. On ne reconnaissait plus rien, à part les accords.”
Né en 1991 à Chambéry (Savoie), ce pur produit du conservatoire abandonne finalement les pièces musicales trop éreintantes et intègre l’École des arts décoratifs pour y apprendre le dessin. Il y passera cinq années. À sa sortie, il fait “un peu de tout”, autrement dit, le choix périlleux ne pas choisir. “Je ne cracherai jamais sur cette école qui m’a tant donné. Mais je n’ai jamais été adapté aux cadres. Je crois que mon meilleur souvenir, c’est quand je n’y étais pas : j’ai passé six mois aux Beaux-Arts de Kyoto.” Son épopée à bord du Transsibérien le mène au Japon, il y (ré)intègre le conservatoire de musique, poursuit ses cours de design visuel et se passionne encore davantage pour les haïkus.
Artiste pluridisciplinaire, Joseph Schiano di Lombo décrit ses projets comme “une suite d’obsessions et de maladresses heureuses”. Refusant le statut de démiurge qui crée à partir de rien, le jeune homme finit justement par se prendre de passion pour le néant, ce vide qui, en fait, n’existe pas vraiment. Alors il fait tout disparaître. Les mots, les notes, les hommes et leurs pensées, utilisant plus souvent la gomme que le crayon qu’il lâche d’ailleurs avant la fin de ses croquis : “Un dessin inachevé est bien plus complet. Il laisse à celui qui le regarde la possibilité de le compléter mentalement.”
Au fil du temps, il a supprimé des passages de L’Œuvre au noir de Marguerite Yourcenar pour recréer un recueil de poèmes. Il a – contre le principe du Photomaton – laissé des cabines se photographier elles- mêmes, l’image de son corps disparaissant au profit d’un jeu de hasard. Car, d’un tirage à l’autre, les fonds apparaissent toujours différents et capturent l’identité de chaque machine : “En me supprimant des Photomaton, je laisse apparaître des choses. Ailleurs, je laisse parler un Erik Satie fantomatique, par exemple”, glisse-t-il. Désormais, Joseph Schiano di Lombo met de côté les contrefaçons musicales et se concentre sur un nouveau projet, poussant la disparition à son paroxysme : l’écriture d’un polar... sans crime et sans flics.
Sans Contrefaçon façon Satie et Debussy de Joseph Schiano di Lombo, disponible.