La musique trap doit à Atlanta ce que le rap français doit à Booba. C’est à dire (presque) tout. Young Thug, Future et Metro Boomin officient en tête du mouvement depuis début 2010, tous élevés dans les HLM de la capitale de l’État de Géorgie – entre gangs et tournages de Spike Lee. De l’autre côté de l’Hexagone, toujours avec un train de retard, on ignore encore tout de ce sous genre du hip-hop, dont les productions sont agrémentées des kicks réalisés par des batteries électroniques (de la mythique Roland TR-808). En France, début 2010, les clubs jouent en boucle Alors on danse de Stromae, tandis que les iPod sont saturés par les titres de la désormais défunte Sexion d’Assaut.
À cette époque, un jeune francophone s’apprête à inventer la trap “à la française”. Clips tournés dans le métro parisien (comme le titre Dans le vide sorti en 2016 et cumulant dix millions de vues sur Youtube), mélodies qui font sautiller, chaînes en or, capuche vissée sur la tête et bob Gucci cher aux rappeurs US : Josman, né à Vierzon dans le Cher (à sept mille kilomètres d’Atlanta), sort des titres qui éclipsent la concurrence. Grâce à ses textes censés qui virent parfois au second degré, ses déclarations d'amour (dans les titres Au bout et J'aime bien!) et aux productions de son acolyte Eazy Dew, Josman s'est peu à peu imposé comme le nouveau poids lourd du rap français.
Certains albums deviennent des classiques. Mauvais Oeil (2000) de Lunatic en fait partie : il s'est vendu à des milliers d’exemplaires en vingt ans, fournissant un bel exemple d’opus – qui, comme certains vins – se bonifie avec le temps. Aujourd’hui, celui qu'on surnomme le Duc de Boulogne s’est désolidarisé de son complice Ali et, vingt ans plus tard, leur album n'a pas pris une ride. Josman, lui aussi, produit des sons qui ne vieillissent pas. Avec son EP (Échecs positifs, 2015), ses deux mixtape (Matrix en 2016, 000$ en 2017) et son album (J.O.$, sorti en 2018), il a réussi en cinq ans à construire une oeuvre, fruit, selon lui, d'une “musique qui ne meurt pas”. À travers des titres “que les gens peuvent écouter cinq ans après leur sortie en fonction de leur humeur, passant d’un morceau à l’autre dans des conditions différentes”, Josman confirme qu’en France, il est le seul à maîtriser la trap qui a couronnée Future aux Etats-Unis et à continuer à vendre des opus sortis il y a plusieurs années.
“Aujourd’hui, c’est rare d’écouter un album d’une traite”, regrette Josman, tandis qu’il compte sur ses doigts le nombre de titres figurant sur Split, son dernier opus 23. C’est presque le nombre de bagues vissées sur chacun de ses doigts et précisément le nombre de morceaux qu’il s’apprête à dévoiler à ses fans : “Sur ce projet, je me suis inspiré d’un film qui m’a beaucoup touché, Split (de M. Night Shyamalan) où Kevin, le personnage de James McAvoy, est un psychopathe schizophrène dont les personnalités se déclinent au nombre de 23”. Un album qui célèbre la diversité des sons et la différence des humeurs dans lesquelles il s’écoute.
Factice, Feu.Bi, Bambi et Petit Bulle, à un mois de la sortie de son deuxième album, Josman a déjà dévoilé quatre titres, tous construits autour de scénarios multiples. Dans Bambi – sorte d’introspection musicale – le rappeur revient sur son parcours et sur son enfance (“J'ai volé, j'ai péché, j'ai menti mais j'suis pas si mauvais, j'suis pas un bandit/Moi on m'a éduqué comme un gentil mais c'est juste que j'suis qu'un homme/Putain d'merde, j'suis pas parfait, j'suis pas Gandhi”) et s’illustre dans un clip où il sort d’une maison comme celle dans laquelle il a grandi, pour s'installer dans un immeuble de la rue Riquet – dans le très populaire 19e arrondissement parisien –, berceau de la scène rap où Oxmo Puccino, Guizmo ou encore Jazzy Bazz ont fait leurs classes. Dans Factice, celui qui s’est fait connaître sur Youtube avec son titre Dans le vide, scande “J'ai tout niqué, niqué l'actrice, tout niquer, niquer la crise/Dans c'putain d'monde que je méprise, c'putain d'monde qui me les brise” dans une sorte de récit désabusé, critique d’un monde superficiel.
Alors que Maes a vendu son dernier album à 38 000 exemplaires la première semaine et que le dernier opus en date de Jul – pape inconstesté du rap bankable – a cumulé 37 000 ventes, beaucoup de rappeurs semblent courir après les records. Josman, lui, prend son temps : il refuse de faire “la course aux tendances et aux chiffres”, sortant tout de même un projet par an depuis son premier EP, Échecs positifs (2015). Celui qui “prend plaisir à regarder les vidéos de ses concerts” continue de travailler, d’enregistrer et d’écrire dans sa chambre, a pourtant fait du chemin depuis ses premiers pas dans le rap : “En 2011, j’oscillais entre le recel de baskets, la vente de vêtements chez Uniqlo et le nettoyage des toilettes du stade de France. Puis j’ai travaillé chez Foot Locker et en parallèle j’ai sorti ma mixtape Matrix, avec le titre Dans le vide. Je voulais deux jours de repos pour tourner la vidéo et mon patron ne me les a pas accordés. J’ai démissionné et le morceau s’est propagé sur Youtube à une vitesse folle : j’ai tout de suite fait des concerts, sans passer par la case chômage.”
Des projets gratuits (Matrix en 2016) à la collaboration avec des guitaristes (pour son dernier album), en passant par la programmation dans un Olympia déjà complet, celui qu’on découvrait, sourcils froncés dans le clip du même nom (sorti sur J.O.$ en 2018) était occupé à compter ses billets de banque, vêtu d’un chasuble aux couleurs du PSG. Aujourd’hui, Josman vient d’acheter “une grosse Mercedes”, il a les moyens de collectionner les maillots du club parisien… Et comme il le scande dans son titre V&V (sur J.O.$), avec Split, le rappeur roule en berline, tout droit vers le succès et la pluie de “billets violets et verts”.
Split (2020) de Josman, disponible le 6 mars.