Filmée par un drone au cœur d’un archipel paradisiaque, Kelsey Lu parcourt une langue de sable et fait onduler ses bras avec élégance, scandant le nom de son eldorado : “Californie”. Un carton sur Youtube : son clip Due West cumule près de 650 000 vues. Mais à la question fatidique : “Qu’est ce que tu écoutes ?”, un fan de la chanteuse serait bien en peine de répondre tant cette artiste manie la confusion des genres, oscillant entre pop baroque ténébreuse, folk rayonnante ou encore R’n’B alternatif aux nuances innombrables. Parmi la longue file des 315 internautes qui ont commenté son ambitieuse vidéo Shades of Blue, publiée sur la même plateforme, le premier résume à lui seul l’œuvre de la musicienne américaine : “Lana Del Rey a rencontré Sade, elles ont adopté un enfant qui écoute Solange et ne manque aucune fashion week parisienne”. Dans sa session Colors, enregistrée il y a quelques semaines, Kelsey Lu arbore des mèches écarlates et des sourcils verts… Mais l’extravagance est maîtrisée. Elle apparaît en chamane mélancolique dans un kimono de soie noir, un voile de tulle sur la tête. Sa complainte exaltée tranche radicalement avec les productions de ses homologues.
Kelsey Lu semble venir d’un autre temps, d’une autre planète. Un endroit où, pour une fois, on prend le temps d’apprécier la musique.
Kelsey Lu – “Due West”
Née Kelsey McJunkins, la chanteuse originaire de Caroline du Nord grandit dans la communauté des Témoins de Jéhovah. Dès l’âge de 6 ans, elle suit une formation de violoncelliste. Son instrument ne la quittera plus. Il est même le héros de son premier EP enregistré en 2016 dans une église de Brooklyn (New York). Ce projet, logiquement intitulé Church, introduit son univers dramatique et minimal : des compositions austères où le silence nourrit autant la mélodie que les vocalises de la jeune femme. Kelsey Lu semble venir d’un autre temps, d’une autre planète. Un endroit où, pour une fois, on prend le temps d’apprécier la musique. Mais comme beaucoup d’autres, elle se fait un nom en collaborant avec des artistes aguerris : la première partie de King Krule, des duos avec Solange, Sampha ou Blood Orange. Un an plus tard, on retrouve Kelsey Lu et sa coupe afro dans le spot de la campagne printemps-été 2017 de Kenzo : Music is my Mistress. Au volant d’une automobile, elle converse avec Ishmael Butler, membre du duo Shabazz Palaces, sous la caméra de Kahlil Joseph, collaborateur de Beyoncé. Avec ce court-métrage, véritable ode à la musique, Kelsey Lu accède au statut d’égérie.
Résolument contemporain, le récital pop de Kelsey Lu demeure une œuvre lyrique d’une profondeur dévorante.
Kelsey Lu – “Shades of Blue”
Le 19 avril dernier, elle sort Blood, premier album produit par Jamie XX et le prince de la dubstep, Skrillex. Dans cet opus introspectif, la violoncelliste multiplie les gammes et couple les genres : elle reprend la ballade I’m not in Love (1975) du groupe britannique 10CC, dialogue avec les instruments à cordes dans le concerto poignant Why Knock For You et surprend avec Pushin Against The Wind dont la mélodie sombre, puis soudainement lumineuse, évoque une complainte baroque. Résolument contemporain, le récital pop de Kelsey Lu demeure une œuvre lyrique d’une profondeur dévorante.
KENZO Spring-Summer 2017 – “Music is my Mistress” a film by Kahlil Joseph
La génération 90 s’est vu reprocher de ne plus rien inventer. Et ses aînés se targuaient d’avoir assisté à la naissance du rock alternatif, du disco, du funk, de la new wave, du hip-hop, de la véritable pop et de toute forme d’art susceptible de rappeler qu’avant, c’était bien mieux. Aujourd’hui, il est d’autant plus délicat de juger une œuvre musicale tant l’offre est importante, l’innovation de plus en plus rare et, l’image, souveraine. Dans ce foisonnement, on recherche donc la perle rare. Du haut de ses 27 ans, Kelsey Lu ne feint pas. Elle nous rappelle qu’une chanson s’interprète voire se performe.
Blood [Columbia] de Kelsey Lu, disponible.