Une demi-douzaine de marmots intrigués forment une ronde autour d’un Smartphone. On leur a promis une expérience hors du commun, seul moyen de les allécher. Enfin une voix jaillit du haut-parleur, abrégeant leur attente interminable. Certains se plaquent la main sur la bouche en écarquillant les yeux. D’autres éclatent de rire. À l’heure où l’on consomme la musique comme dans un fast-food, tous écoutent le morceau jusqu’à la fin sans rechigner. On appelle ça l’effet Philippe Katerine.
Cette année, Philippe Katerine récupère son César du meilleur second rôle pour Le Grand Bain avec la tétanie d’un gosse timide. Il glisse un : “Bon… c’est n’importe quoi.”
Le morceau La Reine d’Angleterre a déjà 9 ans, mais les paroles entonnées avec un accent british caricatural font toujours leur effet: “Bonjour je suis la reine d’Angleterre et je vous chie à la raie.” La réaction des enfants est sans équivoque : “Il a dit un gros mot !” Le hip-hop les suit chaque jour, et la plupart des morceaux de rap ont, semble-t-il, détruit la valeur des termes à force de banaliser la vulgarité. L’obscène est cool, le grossier usuel. Mais pour la première fois depuis longtemps, ces minis auditeurs semblent redécouvrir la force et le sens des mots.
Philippe Katerine – “Stone avec Toi”
Passé maître dans l’art de l’insolite, Philippe Katerine narre des récits absurdes d’une voix faussement naïve. Ses banalités poétiques rendent perplexe et charment les plus téméraires, ceux qui ne voient pas de fruit phallique dans La Banane, ceux qui ne voient pas d’éloge à l’ecstasy dans Parisvélib’… À 50 ans, une calvitie en prime, ce chansonnier surréaliste sort un nouvel aujourd’hui : Confessions. Le premier extrait, Stone avec toi, sorte de comptine sous acide, a déjà conquis ses fans de la première heure. Pour certains, Katerine est un pitre sensible qu’on étudiera à l’école. Un rêveur tendre qui compose au gré des humeurs comme un enfant dessine aux crayons de couleurs.
Sur cet opus bavard, Philippe Katerine distille des “bites” entre les vers éloquents, parle de branlette comme de politique, du racisme comme de l’amour.
Enfant, Philippe Katerine était effrayé par le monde. Cette année, c’est avec la même tétanie de gosse timide qu’il récupère son César du meilleur second rôle pour Le Grand Bain en glissant un : “Bon… c’est n’importe quoi.” À croire que la supercherie a assez duré. Qui aurait cru qu’il serait adoubé par le club des bobos du cinéma français en incarnant un plouc en slip de bain. L’acteur remercie Gilles Lellouche, son réalisateur, et Thierry, son personnage. Comme lui, ce gardien de piscine timoré est trop gentil pour que ce soit une qualité, n’a jamais eu de succès avec les filles, rêve un peu trop souvent… Et sur la scène du Théâtre du Châtelet, trophée en main, sa fierté pourtant intériorisée transparaît dans le regard de sa femme Julie Depardieu, vissée sur son siège au milieu de la salle. Le verdict est tombé : Philippe Blanchard joue comme il chante : sans prétention, sans intention parfois.
Philippe Katerine – “La reine d’Angleterre”
Mais Philippe Katerine a de la chance. En entamant sa carrière en 1992, avec l’album minimaliste Les Mariages chinois, il a échappé au joug du marketing, ce rouleau-compresseur qui écrase les vrais gens pour les transformer en avatars. Neuf albums plus tard, l’ex-dandy séduit toujours mais n’échappe pas aux moqueries. En 2017, le présentateur vedette Jimmy Fallon raille son titre La Moustache mais l’invite finalement sur son late show après qu’une fan soit montée au créneau. Outre-Atlantique, on connaît enfin Philippe Katerine, un monsieur-tout-le-monde aux airs de fumiste décomplexé.
L’album Confessions aurait pu s’intituler “tour d’horizon de la vie contemporaine, entre débats de fond et tracas du quotidien.” En bon adulte de l’ère Snapchat, le chanteur prend le train en marche et accepte volontiers la vie moderne sans la troquer contre ses souvenirs. En témoignent les artistes invités sur cet album : Angèle, Lomepal, Léa Seydoux, Camille, Oxmo Puccino, Chilly Gonzales, Dominique A, Gérard Depardieu… Sur cet opus bavard élaboré avec Renaud Létang, déjà artificier de l’opus Robots après tout en 2005, Philippe Katerine distille des “bites” entre les vers éloquents, parle de branlette comme de politique, du racisme (Blond) comme de l’amour (Duo). Souvent inclassable parce que trop décalé, ce farceur chantonne sur des beats de Garageband comme si de rien n’était et fusille le monde avec insouciance. Sa Kalachnikov tire des fleurs.
Confessions de Philippe Katerine [Wagram], disponible.
Philippe Katerine célèbre en chanson son César du Meilleur Second Rôle pour “Le Grand Bain” de Gilles Lelouche.