1. La plus kitsch : le bouquet de tulipes de Jeff Koons
130 morts et 351 blessés : tel est le lourd bilan des attentats du 13 novembre 2015, orchestrés par l'organisation État Islamique à Paris. Suite à cet événement tragique qui a bouleversé la France, l’ambassadrice des États-Unis en France Jane D. Hartley a une idée : commander à l’Américain Jeff Koons – l’un des artistes contemporains les plus connus et les plus chers de son époque – une sculpture offerte à la ville de Paris en hommage à ses victimes. Touché par l’idée et par les événements, l’artiste accepte immédiatement. Seulement voilà : une fois dévoilé au public, le projet est loin de faire l’unanimité. Première raison : l’emplacement prévu. En effet, la sculpture devait initialement être installée sur le parvis du Palais de Tokyo et du musée d’Art moderne de la ville de Paris : un lieu symbolique situé au cœur d'établissements emblématiques de la culture et de l’art. Deuxième raison : le coût de production très élevé de l'œuvre, soit 3,5 millions d’euros au total. Lorsque le public a vent de l’hypothèse (erronée) qu’une partie de cette somme sera payée par l’État, le ton monte. Le 21 janvier 2018, des personnalités de l’art et de la culture, telles que Christian Boltanski et Jean-Luc Moulène, publient même une tribune dans le quotidien Libération pour s'insurger ouvertement contre le projet : “Nous apprécions les cadeaux, mais gratuits, sans conditions et sans arrière-pensées”, écrivent-ils.
Malgré ces critiques, le projet est maintenu et sa production financée par l’artiste lui-même, avec le concours de mécènes et de sociétés privées. Le 4 octobre 2019, le rideau tombe et dévoile l’œuvre, qui prend finalement place entre le Petit Palais et la place de la Concorde. Son aspect final corrobore alors la troisième raison de son rejet : l’esthétique elle-même de la sculpture. Sur 13 mètres de haut, une main tendue offre onze fleurs aux couleurs de l’arc-en-ciel et en forme de ballons de baudruche – objet récurrent des sculptures monumentales de l’artiste new-yorkais –, dans une référence assumée à la main tenant le flambeau de la statue de la Liberté de Bartholdi. Aussi littéral et kitsch que son message est clair et efficace, ce Bouquet de Tulipes en bronze et acier peints prend alors sa place dans le paysage des monuments publics parisiens, sans pour autant faire consensus. Le lendemain de son inauguration, le philosophe de l’art Yves Michaud la décrit d’ailleurs dans une chronique comme “onze anus colorés montés sur tige”.
2. La plus suggestive : l’arbre/plug anal de Paul McCarthy
Scandale sur la place Vendôme. Le 16 octobre 2014, à l’occasion de la FIAC à Paris, l’artiste américain Paul McCarthy érige un bien étrange sapin de Noël gonflable. Haut de 24 mètres, celui-ci domine la célèbre place parisienne pendant deux jours, avant d’être saccagé pendant la nuit par des anonymes. La raison supposée ? Sa ressemblance flagrante avec un plug anal, vivement critiquée lors de son installation pour son caractère à la fois obscène et grotesque – une nouvelle occasion pour les détracteurs de l’art contemporain de dénoncer, à travers cette œuvre, sa vulgarité. Suite à cette polémique immédiate et à ce vandalisme, le plasticien renonce finalement à réinstaller l’œuvre, de peur qu’elle soit dégradée à nouveau. Toutefois, sa médiatisation offre à l’Américain provocateur et irrévérencieux un coup de pub pour le moins réussi : à peine 10 jours plus tard, l’artiste inaugure dans la capitale française une exposition personnelle à la Monnaie de Paris, à l’occasion de sa réouverture. Le succès sera au rendez-vous.
3. La plus vandalisée : “Le Vagin de la reine” d’Anish Kapoor
Siphon d’eau incessant, large miroir inversé concave ou encore canon projetant sur un mur blanc des pelotes de cire rouge… La carte blanche laissée à Anish Kapoor au château de Versailles en 2015 a tout pour attirer la curiosité du public et faire parler d’elle. Mais qui aurait pu imaginer que l’une de ses œuvres ferait les gros titres des journaux à plusieurs reprises ? Intitulée Dirty Corner, cette sculpture en acier rouillé en forme de tube créait, sur la magnifique pelouse verte déroulée en face du château, un gouffre obscur profond de 60 mètres, dont la symbolique suggestive lui valut d’être surnommée par l’artiste lui-même : Le Vagin de la reine. À peine deux semaines après l’ouverture de l’exposition, l’œuvre monumentale est recouverte la nuit par des jets de peinture jaune, qui seront rapidement nettoyés. Mais en septembre, sa surface est à nouveau vandalisée, cette fois-ci par des phrases racistes et antisémites écrites en blanc : “Juifs, tradis et kabbalistes, ce taré vous met en danger”, “À Versailles, le Christ est Roy” ou encore “SS Sacrifice Sanglant”… Autant d’insultes menaçantes destinées à l’artiste britannique de confession juive et d’origine indienne. À la manière d’un manifeste, Anish Kapoor décide de conserver ces tags sur l’œuvre, afin d’y inscrire définitivement ces témoignages concrets de l’antisémitisme en France. “Désormais, ces mots infâmants font partie de mon œuvre, la dépassent, la stigmatisent au nom de nos principes universels. (...) Je défie désormais les musées du monde de la montrer telle quelle, porteuse de la haine qu’elle a attirée. C’est le défi de l’art”, confie l’artiste au Figaro.
4. La plus outrageusement chère : la banane de Maurizio Cattelan
La dernière polémique de l’art contemporain remonte à seulement quelques jours. Son contexte ? La foire Art Basel à Miami. Ses acteurs ? L’artiste Maurizio Cattelan et son galeriste Emmanuel Perrotin. Son objet ? Une banane. Fixé au mur du stand de la galerie par un scotch argenté, ce fruit des plus banals y est vendu en qualité d’œuvre d’art, et ne tarde pas à être acheté par une collectionneuse française pour la coquette somme de 120 000 dollars. Il n’en fallait pas plus pour mettre le feu aux poudres : l’opinion publique s’insurge contre l’aberration du marché de l’art, alors que la banane suscite un tel engouement à la foire qu’elle conduit même le galeriste à la retirer de son stand le dernier jour. Coutumier d’un art de la provocation, l’Italien Maurizio Cattelan a, pour cette œuvre, l’idée des plus tautologiques de représenter le sujet par l’objet même. Il se rend alors dans un supermarché de Miami pour acheter une banane, puis baptise sa nouvelle création Comedian : difficile de ne pas y voir derrière une illustration du théâtre de l’art contemporain, aussi fascinant que controversé, dans lequel l’artiste de 59 ans maintient une position ambiguë. Devenant l’œuvre la plus commentée d’Art Basel Miami, la banane possède même son propre compte Instagram où elle compte désormais plus de 16 000 abonnés. Encore disponible à la vente, son troisième exemplaire est désormais estimé à minimum 150 000 dollars, résultat d’un buzz des plus fructueux.
5. La plus “greenwashing” : les glaçons d’Olafur Eliasson
Connu pour ses installations qui interrogent le rapport de l’Homme à l’environnement, tout en sensibilisant sur les ressources précieuses offertes par la nature, l’artiste islando-danois Olafur Eliasson imagine en 2014 une œuvre coup de poing : des blocs de glace déplacés depuis le Groenland pour être disposés en plein cœur de Copenhague, Paris, puis Londres, condamnés à fondre devant les passants, invités à les toucher et à tourner autour. À première vue, l’installation Ice Watch ne fait aucun mystère sur son engagement, en confrontant directement le public aux conséquences délétères des actions de l’être humain sur la nature. Mais afin de créer ces œuvres éphémères, plus de 100 tonnes de glace ont été extraites des icebergs, puis acheminées par voie aérienne jusqu'aux trois destinations. La production de l’œuvre se heurte alors à un éminent paradoxe : créer et exposer de l’art aujourd’hui n’est-il pas fondamentalement incompatible avec la prise de conscience écologique liée aux constats alarmants sur l’avenir de notre planète? Une question dont artistes, commissaires et musées devront tenir compte en imaginant de nouvelles manières d’y répondre à l’orée de cette nouvelle décennie du XXIe siècle.