“Elle voit les choses qu’on ne voit plus, et c’est en ça qu’elle est absolument merveilleuse. Elle arrive à trouver les choses, qui ont devenu son vocabulaire, qu’elle a complètement “excavé“ pour mieux nous en faire voir la profondeur“. Tels sont les mots du galeriste Kamel Mennour, qui représente Marie Bovo depuis plus de 15 ans. Jusqu’au 17 mai, la Fondation Henri Cartier-Bresson présente une sélection d'images de cette photographe espagnole, qui révèlent les tensions particulières entre la nuit et le jour, entre le privé et le public, entre la présence et l’absence.
Les lieux déterminent la technique
Au cours de l’exposition Nocturnes, Marie Bovo nous plonge dans les espaces dépeuplés du Sud : dans les villes jumelles de Marseille et d'Alger, ainsi que dans les villages du Ghana. Marseille occupe d'ailleurs une place toute particulière pour Marie Bovo, qui y habite et travaille aujourd’hui. A titre d'exemple, sa série En Suisse – Le Palais du roi capture l'intérieur d'un kebab marseillais qui n’existe plus aujourd'hui : la photographie garde les traces et la mémoire de ses fresques sur les murs qui ont déjà disparu, mais qui semblent ici éternelles. En portant l’attention au détail, Marie Bovo insiste sur le passage du temps.
Car pour l’artiste, les lieux déterminent la technique. Dans la série Cours intérieures, réalisée dans le quartier populaire de Marseille, l’angle est inattendu : dans ces cours enfermées par les bâtiments, où habitent des immigrés algériens et tunisiens, la caméra fait face au ciel, en contreplongée dans cet espace géométrique. Le carré devient le cadre de la photographie, traversé par les lignes des vêtements séchant sur des fils qui incarnent la présence des immigrés.
“Je m’intéresse à la façon dont on passe des espaces privés aux espaces publics”, explique Marie Bovo. Dans sa série Alger, on découvre la capitale algérienne à travers la porte-fenêtre entrouverte des appartements. Le visiteur est alors confronté au paradoxe entre l’espace intérieur et intime de la chambre et l’espace extérieur urbain de la ville, qui devient presque un décor de théâtre au moment où le jour disparaît et le temps s’arrête.
La lumière du crépuscule
Mais c'est avant tout à la lumière que Marie Bovo attribue le rôle principal de ses séries : “Dans toutes les photographies que je fais, l'une de mes règles est de ne pas ajouter de lumière artificielle. Je trouve que la lumière dit les choses, met les situations en évidence“. Grâce aux lumières et aux angles qu’elle choisit, Marie Bovo met en avant ces espaces que l'on ne remarque plus : la beauté des façades délabrées ou des lumières émanant des fenêtres en vis-à-vis.
“Je trouve que la lumière dit les choses, met les situations en évidence“
Pour ce faire, le crépuscule devient son moment de prédilection. Comme la photographe le justifie elle-même, “au crépuscule, deux choses sont confrontées, deux cycles en même temps. Cela crée une tension particulière“. Cet instant charnière entre le jour et la nuit amène une sorte de point d’interrogation à la photographie : on ne peut pas discerner si le jour arrive ou si la nuit tombe, car la lumière est exactement la même. Le crépuscule détermine aussi l’usage de la pose longue, qui “ajoute de la durée à la mesure de la lumière“, comme le dit Marie Bovo. Un rapport au temps particulier qui fait la grande puissance de ses images.
L’art de la présence et de l’absence
La disparition et l’absence des humains sont le fil rouge des photographies de Marie Bovo, notamment de celles qui composent l’exposition Nocturnes. Dans la vidéo La voie lactée, l’artiste dresse un portrait original de la ville de Marseille grâce à un élément surprenant, le lait : celui-ci commence par bouillir dans une casserole jusqu'à déborder, puis il sort de l’appartement, dans les rues, sillonne la ville pour terminer dans une mer Méditerranée éclairée par la lune. “Le lait est devenu la matière qui dessinait les choses”, explique l'artiste : ici, ce liquide maternel et nourricier devient un symbole qui donne à cette situation triviale une dimension universelle. Ainsi, le portrait nocturne des rues dépeuplées de Marseille que dessine le lait rencontre les problématiques sociales de la ville, à l'instar des sans abris vivant dans ses rues.
“J’aime travailler sur l’empreinte humaine à travers son absence“
“J’aime travailler sur l’empreinte humaine à travers son absence”. Comme le dit Marie Bovo elle-même, l'absence joue un rôle fondamental dans sa pratique. Dans la série Evening Settings, elle photographie la cuisine dans le village de Kasunya au Ghana. On y perçoit les signes d'une vie récente : des petits tabourets de bois et des bassines d’aluminium, des assiettes et couteaux, des vêtements et téléphones portables… Les habitants semblent avoir disparu de la scène il y a seulement quelques instants. Grâce à ces petits détails, la photographe décrit le mode de vie d’une communauté sans en capturer les personnes. Témoignages des activités quotidiennes de ce village, les photographies incitent le spectateur à imaginer ces habitants et leur vie.
Énigmatique, contemplatif voire presque magique, le travail photographique de Marie Bovo est une véritable méditation. Une méditation au crépuscule qui rend tangible la lumière et l’immatériel.
Marie Bovo, Nocturnes, jusqu'au 17 mai à la Fondation Henri Cartier-Bresson, Paris 3e.