Au début des années 2000, David Simon a entamé une révolution discrète à la télévision américaine, qu’il avouait pourtant ne jamais regarder. Formé au journalisme d’investigation pur et dur dans la rédaction du quotidien Baltimore Sun, ce garçon bourru avait décidé quelques années auparavant de ne pas laisser l’adaptation de son livre d’enquête Homicide – A Year on the Killing Streets dans les mains de scénaristes sans expérience du terrain. Cela avait donné l’une des séries policières les plus estimables de la décennie, avant que la chaîne HBO ne l’accueille pour finalement mettre au monde The Wire, un chef-d’œuvre absolu en forme de radiographie fulgurante de l’Amérique des flics, des voyous, des écoles, des commissariats… et de tout ce qui ressemble de près ou de loin à une institution.
Depuis ce coup de semonce aussi important que les grands romans classiques critiquant l’American way of life, David Simon a définitivement abandonné sa carte de presse pour devenir l’un des auteurs de séries les plus respectés. Après Generation Kill (sur la guerre en Irak) et Treme (qui se déroulait dans les communautés musicales de La Nouvelle-Orléans après le passage de l’ouragan Katrina), The Deuce apparaît sans doute comme son projet le plus séduisant et accessible à un large public. La série, qui entame cette rentrée sa deuxième saison, raconte l’histoire mouvementée de la 42e Rue à New York dans les années 70, entre prostitution, funk et mafia. Les hôtels de passe ne sont pas loin, les néons cachent la misère. Partout où la loi n’est pas une valeur respectée, David Simon glisse son regard à la fois fasciné et désespéré, sans jamais détourner les yeux. C’est comme une seconde nature chez lui.
Deux frères jumeaux, l’un petite frappe incontrôlable, l’autre gérant d’établissements de nuit – interprétés tous les deux par James Franco – se retrouvent embarqués plus ou moins malgré eux dans des malversations qui les dépassent. À travers eux, la série arpente le monde de la nuit et des bars gay, loin des sirènes mainstream, là où se jouent des luttes politiques invisibles à l’œil nu. Ces personnages sont d’abord les victimes d’une structure – en l’occurrence, le crime organisé – qui les étouffe et les transforme peu à peu. Le pessimisme de Simon s’incarne à travers eux, mais le tissu narratif qu’il tricote avec les écrivains de polars George Pelecanos et Richard Price ne s’arrête pas là. Au contraire, il s’étend presque à perte de vue, comme dans toutes ses séries. Une autre vision du monde embrase The Deuce. Elle se prénomme Candy, une prostituée sans souteneur qui tient à son indépendance. Ce qui n’a rien d’évident dans un univers si incertain et dangereux.
De manière assez subtile, la série montre comment cette femme, bientôt quadragénaire et mère d’un enfant, réfléchit en temps réel à sa propre libération, en se glissant dans le monde des films pornos. D’abord comédienne, Candy devient productrice et même réalisatrice, ce qui donne lieu à des scènes rarement vues. Le plateau de cinéma, souvent mis en scène comme un espace de désir, devient alors clairement un lieu de pouvoir et de luttes où se jouent l’avenir des représentations. Maggie Gyllenhaal trouve ici le rôle de sa carrière, qu’elle incarne avec mélancolie et intensité. Après les ennuis de James Franco (l’acteur a été maintenu in extremis après des accusations d’agressions sexuelles), la deuxième saison offre à sa partenaire une place majeure. Et nous voici désormais plongés dans le New York de 1978, au moment où se croisent le punk, le disco et l’âge d’or du porno.
The Deuce, saison 2. Disponible sur OCS City.
“The Deuce” Bande annonce de la saison 2