1. Le petit écran : nouvel espace de représentation du désir féminin
Toutes les femmes nées à la fin du deuxième millénaire et adeptes de séries télévisées ont entendu parler de Sex and the City. Mondialement connu pour sa drôlerie et ses dialogues outrageusement portés sur le sexe, le show américain a très vite intrigué toute une génération de femmes (et d’hommes). Ces derniers, tranquillement installés dans leurs canapés en cuir, rocking-chair et autres fauteuils poussiéreux, ont dû attendre les années 90 pour que les langues se délient et qu’on parle enfin du désir des femmes sur le petit écran. Avant Sex and the City, la représentation de la sexualité féminine dans les séries américaines botte souvent en touche, préférant suggérer que montrer, usant et abusant d’euphémismes et se complaignant dans des allusions bien trop frustrantes.
Soudain, quatre trentenaires new-yorkaises débarquent. Sacs Hermès, tailleurs Saint Laurent et Jimmy Choo à la main – lorsqu’elles s’échappent de la chambre d’une conquête au petit matin – Carry (Sarah Jessica Parker), Samantha (Kim Cattrall), Charlotte (Kristin Davis) et Miranda (Cynthia Nixon) crèvent l’écran. À elles quatre, elles cumulent autant d’anecdotes sexuelles que le tout New York saurait en raconter. Tromperies, mariages annulés, libidos tantôt en berne, tantôt en recrudescence… autant d’aventures banales jamais représentées dans les séries américaines. Quand Samantha, installée au comptoir d’un bar chic de la 5eme Avenue, touille énergiquement son Moscow mule et scande à son amie Charlotte : “Chérie, quel est l’intérêt de vivre en banlieue si ce n’est pas pour coucher avec son jardinier ?”, le monde entier jubile. Il découvre une sitcom sensible, tentant de s’extirper de clichés qui parfois la rattrapent tout aussi vite : pour ces femmes, riches, belles et indépendantes, l’épanouissement passe par la rencontre de “l’homme de leur vie” et l’acquisition de la dernière robe de créateur (dont le prix à quatre chiffres s’inscrit sur une étiquette brodée). Après l’arrêt de la diffusion de la série, l’adaptation de Sex and the City en deux volets sort au cinéma et le succès est sans précédent.
2. Sexe, ragots et amours de lycée
À la fin des années 2000, une bande de lycéens new-yorkais inondent le petit écran. Gossip Girl – dont un retour est annoncé par HBO pour 2020 – met en scène les jeux et les tourments de jeunes femmes et hommes issus de la jeunesse dorée américaine. À l’ère pré-Instagram, les héroïnes, Serena (Blake Lively) et Blair (Leighton Meester), sont en proie à une mystérieuse blogueuse qui dévoile tous leurs faits et gestes sur la Toile. Récit de recherches identitaires et d’expérimentations sexuelles, Gossip Girl accompagne des millions d’adolescents dans leurs quêtes du “moi”.
Chaque après-midi, le show est diffusé à la télévision. Captivés par leurs écrans, garçons et filles se retrouvent dans ces jeunes adeptes de ragots et de racontars. Des “qui-couche-avec-qui ?”, des trahisons amoureuses et des ruptures amicales, telle est la recette du succès de Gossip Girl. Construite sur le paradigme de Sex and the City : sexe, opulence et chassé croisé amoureux, la série devient le rendez-vous quotidien d’une tonne d’adolescents. Elle dépeint avec brio les travers d’Internet (et ce bien avant l’arrivée des réseaux sociaux) : déjà, grâce aux portables, les ragots se propagent plus vite que la lumière. Si elles semblent intouchables, cloitrées dans les tours d’ivoire que sont leurs hôtels particuliers de l’Upper East Side, ces jeunes filles sont violemment exposées aux cruautés adolescentes. Six saisons durant, on assiste à la mise en scène de leur fragilité, et ces femmes richissimes semblent à la fois si proches et si éloignées du reste des adolescentes. Au grand damn du public, les tribulations de Serena, Blair et de leurs amis peinent cependant à s’élever. Les personnages restent, et c’est dommage, englués dans des préoccupations loin d’être terre-à-terre : la popularité, le faste et le shopping.
3. “It’s a woman’s woman’s woman’s world”
Il est d’une série qui a fait de sa créatrice la voix de toute une génération : Girls. Génialement pensée par Lena Dunham pour la chaîne américaine HBO, la série se construit autour d’un leitmotiv : la féminité. Du pilot (sorti en 2012) au dernier épisode (2017), la créatrice s’est attelée à définir son propre univers : il est féminin, à la fois drôle et bouleversant, sensible et frontal. En résulte un succès international couronné de deux Golden Globes.
Spontanée, névrosée, un peu perdue mais toujours tendre : tels sont les traits de caractère de Hannah Horvath, le personnage qu’incarne la créatrice de Girls. Entourée de ses meilleures amies, Marnie (Alison Williams), Shoshanna (Zosia Mamet) et Jessa (Jemima Kirke), l’héroïne grandit, passant d’une fille trop âgée pour se comporter en adolescente à une femme prête à affronter les tourments de la vie. Comme tous les groupes féminins, celui d’Hannah s’aime à la folie, se déchire, se retrouve et évolue à l’unisson. Et comme toutes les femmes, elles doivent bâtir leurs existences. Au fil de six saisons magistrales, elles réussissent, avec pertes et fracas.
Captant la féminité à son apothéose, Girls illumine des weekends de grisaille et rafraichit des journées de canicule. Dans la série, la mise à nu de Lena Dunham est jubilatoire : par ses formes dodues, ses tatouages frondeurs et ses monologues hilarants, la créatrice du show donne corps aux tergiversations banales d’une fille en phase de devenir une femme. Un Sex and the City en version trash, donc améliorée.