Le nouveau temple parisien de l’art sera donc tout en rondeur, appétissant comme une pièce montée de la mémoire architecturale de la ville. La Bourse de commerce – la pâtisserie en question, ouvrira ses portes en juin 2020 après quatre ans de travaux. Le public redécouvrira l’un des joyaux méconnus de l’architecture parisienne, édifié en plein cœur des Halles sur un plan circulaire et surmonté d’une monumentale coupole. Un best of de l’architecture parisienne qui s’est modelé, tel un millefeuille, de la Renaissance (il n’en reste que la colonne Médicis) à la halle aux blés du XVIIIe siècle jusqu’à la Bourse inaugurée en 1889. “Le lieu sera uniquement consacré à l’art contemporain, précise son directeur général délégué Martin Bethenod. Un art contemporain envisagé à partir de la collection Pinault : les expositions présenteront ainsi des œuvres de la collection ainsi que des projets réalisés pour le lieu par des artistes importants de la collection.”
Un best of de l’architecture parisienne qui s’est modelé, tel un millefeuille, de la Renaissance à la halle aux blés du XVIIIe siècle jusqu’à la Bourse inaugurée en 1889.
Les deux musées vénitiens de François Pinault, ouverts en 2005 et 2008 après l’abandon de son projet français sur l’île Seguin, ont donné un aperçu d’une telle programmation : la peinture âpre et conceptuelle du flamand Luc Tuymans, les œuvres politiques de Danh Vo entremêlant la grande histoire et son parcours personnel, une passion pour la photographie (de Cindy Sherman à Berenice Abbott), la star du marché Albert Oehlen ou encore le peintre alchimiste Sigmar Polke. “Nous nous focaliserons sur l’art des années 70 à nos jours, précise Martin Bethenod. La programmation sera pointue, nous n’irons pas du côté des blockbusters.”
“Nous nous focaliserons sur l’art des années 70 à nos jours, précise Martin Bethenod. La programmation sera pointue, nous n’irons pas du côté des blockbusters.”
Et pourtant, à Venise, la Collection présentait bien le maître Irving Penn en 2014 et, en 2017, un méga show de la méga star Damien Hirst… Quoiqu’il en soit, la Bourse de commerce ne fera pas la course à l’échalote avec ses deux concurrents directs : le Centre Pompidou qui parie de plus en plus sur les big names pré-70s (faute de budget, il faut bien remplir la billetterie) et la Fondation Louis Vuitton qui, avec ses moyens dont aucun musée français n’oserait rêver, peut s’offrir les plus belles collections modernes mondiales (Chtchoukine, Courtauld) entre deux stars contemporaines comme Takashi Murakami ou Jean-Michel Basquiat.
Le nom des artistes qui investiront les sept galeries de la Bourse en juin ne sont pas encore connus, mais l’on sait la passion de François Pinault pour Thomas Houseago (invité de son musée vénitien en 2020), Charles Ray ou les Français Philippe Parreno et Pierre Huyghe. L’architecture du lieu, elle, a déjà dévoilé tous ses secrets. La visite fin novembre du chantier offrait un aperçu presque complet du travail parfait en tout point du Japonais Tadao Ando. Son geste, d’une simplicité et d’une efficacité redoutables, tient en un rien qui fait tout : l’édification, au sein de la gigantesque rotonde centrale, d’un cylindre en béton de neuf mètres de haut et trente mètres de diamètre.
Un havre de paix et de lumière zénithale exceptionnel donnant directement sous une coupole et offrant ainsi un point de vue cosmique sur le ciel.
Ce rond dans le rond forme l’espace le plus impressionnant de la nouvelle Bourse, un atrium à l’abri de l’architecture XIXe chargée de la bâtisse, un havre de paix et de lumière zénithale exceptionnel donnant directement sous une coupole et offrant ainsi un point de vue cosmique sur le ciel. Entre ciel et terre, entre vie terrestre incarnée par la matérialité (le sol lui-même est en béton) et aspiration spirituelle, on sent la marque de fabrique de Tadao Ando, dont les chefs-d’œuvre d’abstraction et d’introspection illuminent l’île de Naoshima. Ces neuf mètres de hauteur créent aussi un rapport d’échelle au profit des œuvres qui y seront exposées. “L’exemple du Grand Palais, commente Martin Bethenod, nous montre que sous une coupole haute de 30 mètres, même l’œuvre la plus monumentale de Richard Serra paraît petite. Le cylindre offre une échelle plus intime aux œuvres. Mais il n’y a aucune injonction à la monumentalité à la Bourse de commerce. Nous avons imaginé les espaces qui s’articulent autour de la rotonde dans des formats très divers : un cabinet de 120 m2 qui se prête à l’accueil de la photographie et des œuvres sur papier, des espaces allant jusqu’à 650 m2 d’une hauteur de 4 mètres sous plafond, et d’autres plus monumentaux de 8 mètres de hauteur.”
Les 300 fenêtres de la Bourse (donnant soit sur l’extérieur, soit sur la rotonde intérieure) travaillent tout autant à ce dialogue entre les espaces d’exposition et l’environnement naturel et urbain, offrant de sublimes vues sur l’église Saint-Eustache ou la Canopée des Halles (qui vue de haut et à distance, n’est pas si terrible). C’est d’ailleurs l’un des défis majeurs de ce musée que d’exposer des œuvres au sein d’espaces courbes et parsemés d’ouvertures. “Nous assumons de ne pas rentrer dans le canon standardisé du white cube, explique Martin Bethenod. Aujourd’hui, tous les musées se ressemblent, vous ne savez pas si vous êtes dans une galerie new-yorkaise ou dans un musée à Stockholm. Comme à la Pointe de la Douane ou au Palazzo Grassi à Venise, déjà réimaginés par Ando, qui donnent sur la Giudecca ou le canal, l’œil peut s’échapper. Lorsque nous montrons une œuvre, nous la montrons toujours dans un rapport avec un lieu, un contexte. Et si besoin, des cloisons peuvent être installées devant les fenêtres ou perpendiculairement aux courbes. Mais les courbes douces donnent des merveilles en termes scénographiques : elles créent une dynamique et un mystère en ne laissant pas découvrir immédiatement l’extrémité de la galerie. Pensez à des lieux mythiques comme le Hirshhorn Museum à Washington ou le Guggenheim à New York...”
“Nous assumons de ne pas rentrer dans le canon standardisé du white cube, explique Martin Bethenod. Aujourd’hui, tous les musées se ressemblent.”
Ce jeu de circularité est renforcé par Tadao Ando. L’architecte a installé un promenoir au sommet du cylindre afin de desservir, par des passerelles, les espaces d’exposition des étages. L’architecte propose ainsi une narration non linéaire et un musée non autoritaire : des boucles communiquant les unes avec les autres et qui accompagnent une déambulation libre du visiteur. Tout y devient flux doux d’énergie, de lumière et d’émotions. La boucle infinie se dessine ainsi comme le motif central, abstrait et métaphysique, d’un lieu qui n’a de cesse de créer le va-et-vient entre haut et bas, centre et périphérie, extériorité et intériorité (du visiteur lui-même), passé et présent : le promenoir du XXIe siècle offre ainsi une vision panoramique sur l’immense peinture déployée à 360° sur dix mètres de hauteur et cent quarante mètres de circonférence, sous la coupole – le premier chef-d’œuvre de la Bourse de commerce. Cette œuvre achevée en 1889 fut dirigée par l’architecte Henri Blondel qui commande à cinq peintres de grandes peintures murales symbolisant l’histoire du commerce entre les cinq continents” : les quatre points cardinaux par Alexis-Joseph Mazerolle, La Russie et le Nord par Désiré-François Laugée, L’Amérique par Évariste-Vital Luminais, L’Asie et L’Afrique par Victor Georges Clarin, et L’Europe par Hippolyte Lucas. Si les motifs comme celui du lion pour l’Afrique paraissent bien caricaturaux aujourd’hui, ils témoignent justement des ambiguïtés d’une époque.
Tout y devient flux doux d’énergie, de lumière et d’émotions. La boucle infinie se dessine ainsi comme le motif central, abstrait et métaphysique du lieu.
La rénovation de ce chef-d’œuvre, et de l’ensemble de la Bourse (avec pour référence son état de 1889) a en réalité constitué le chantier majeur, depuis 2016, de Tadao Ando, des architectes français Lucie Niney et Thibault Marca ainsi que de l’architecte des Monuments historiques Pierre-Antoine Gatier. Pendant six mois, 1 400 m2 de toiles ont été restaurés sur place par une vingtaine de restaurateurs. L’architecture métallique a été conservée. Les structures contemporaines et les salles blanches modernes viennent en réalité se glisser comme une seconde peau dans l’architecture du XIXe préservée. Fin novembre, le dernier étage consacré au restaurant La Halle aux Grains de Michel et Sébastien Bras (ouvert 7 jours sur 7 avec sa verrière et sa vue sur Paris) et le sous-sol (qui accueillera un auditorium de 288 places et une salle dédiée aux performances, vidéos et autres formes expérimentales) n’ont pu être visités fin novembre. Ce ne sont pas les moindre des secrets que réserve la Bourse de commerce pour juin 2020.
La Bourse de commerce - Collection Pinault ouvrira ses portes en juin 2020.