Et l’Afrique eut son grand musée d’art contemporain. Sous les applaudissements (et malgré quelques polémiques), le Zeitz Museum of Contemporary Art Africa a ouvert ses portes fin septembre au Cap. L’événement est historique, à plus d’un titre. D’abord, la métamorphose d’anciens silos à grains du quartier des docks en une cathédrale de béton gigantesque représente une belle réussite architecturale. On la doit au studio anglais Heatherwick. Le bâtiment historique construit en 1921 a subi un travail titanesque d’excavation des 57 cylindres intérieurs en béton, particulièrement visible dans le sublime atrium. “Notre rôle a consisté à détruire plutôt qu’à construire, nous explique Thomas Heatherwick. Nous ne voulions pas traiter le lieu comme un mausolée, mais lui impulser énergie et assurance. Nous avons d’ailleurs commencé par enlever la couche de peinture à l’extérieur pour révéler, comme à l’intérieur, la magnifique couleur de son béton.” Le résultat rappellera aux visiteurs européens la Tate Modern, dans une version plus inspirée de l’esthétique d’Alien. Le musée, contrairement à sa consœur, profite surtout d’une situation géographique exceptionnelle, entre les rocs impressionnants de Table Mountain et l’Atlantique. Plus important, l’ensemble constitue la plus vaste institution du continent dédiée à l’art africain du xxie siècle : 9 000 m2 dont 6 000 m2 consacrés aux expositions, neuf niveaux, une centaine de galeries, un jardin de sculptures sur le toit…
Après le pillage séculaire de ses objets artistiques par l’Occident, l’Afrique connaît aujourd’hui une autre forme de dépouillement.
Mais l’essentiel ne réside pas dans la surenchère de chiffres. Comme l’explique Mark Coetzee, son directeur exécutif, ce musée, qui aura coûté 30 millions d’euros, “a pour première mission de s’assurer que les œuvres produites sur le continent africain demeurent sur le continent africain, ou qu’elles y reviennent”. Après le pillage séculaire de ses objets artistiques par l’Occident, l’Afrique connaît aujourd’hui une autre forme de dépouillement : les œuvres des artistes contemporains ne sont que très peu montrées dans l’environnement qui les a vues naître. Les photographies d’Edson Chagas ont valu au pavillon angolais d’être récompensé d’un Lion d’or à la Biennale de Venise en 2013. Jusqu’ici, elles n’avaient jamais été présentées sur le continent. On les trouve aujourd’hui installées dans les tunnels impressionnants du Zeitz MOCAA. Le gigantesque oiseau mythique qui surplombe l’atrium du musée ? Également une première en Afrique ! Pourtant, cette sculpture créée pour la Biennale de Venise en 2011 est une réalisation du Sud-Africain Nicholas Hlobo.
“Si le musée est situé géographiquement au Cap, insiste Mark Coetzee, il dialogue avec les 54 pays du continent”
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Autre jeune artiste sud-africain à avoir obtenu les faveurs du musée, Athi-Patra Ruga explique : “La plupart de mes œuvres, qu’il s’agisse de tapisseries, de sculptures ou de vidéos, sont monumentales. Et jusqu’à maintenant, il n’existait tout simplement pas de lieu sur ce continent pour les exposer. Elles passaient d’un musée en Europe à la maison d’un collectionneur.” À seulement 33 ans, il se voit ici consacrer une salle entière. L’ironie de la chose, qui n’a pas échappé aux commentateurs, est que les initiateurs du projet sont tous blancs, et même européens, comme c’est le cas de l’Allemand Jochen Zeitz dont l’impressionnante collection privée alimente le musée. Pour autant, à l’ouverture, personne ne boudait son plaisir devant l’exceptionnelle mise en lumière des artistes africains. Preuve de l’intérêt international suscité par ce projet, la soirée de vernissage était organisée par la maison Gucci (qui sait apparemment choisir ses partenariats puisqu’elle a également sponsorisé la soirée d’ouverture de l’excellente foire d’art contemporain Paris Internationale en octobre). Le rappeur à un million de followers Riky Rick pouvait ainsi assurer le show dans les couloirs, en total look Alessandro Michele, concurrencé par les danses endiablées du collectif Dear Ribane.
L’art africain était à la fête… reste à savoir ce que pouvait bien être un “art africain”. “Si le musée est situé géographiquement au Cap, insiste Mark Coetzee, il dialogue avec les 54 pays du continent, et avec le monde. Nous tenons à représenter des artistes du continent, mais aussi de la diaspora au sens large. Concrètement : l’Afrique et son influence.” Les stars américaines Glenn Ligon et Rashid Johnson (ou l’Anglais Isaac Julien) côtoient donc la géniale Sud-Africaine Zanele Muholi, El Anatsui (Ghana), Kudzanai Chiurai (Zimbabwe) pour ne citer que quelques-uns des plus passionnants. Dans un pays où l’apartheid a laissé des traces vives, particulièrement au sein d’une ville souvent décrite comme “peu africaine”, la question de la “diversité des voix” qui s’exprime au sein des musées reste éminemment sensible. L’institution n’en finit pas de souligner le nombre imposant de commissaires (21 pour le moment) et d’artistes invités, et sa capacité à porter leur voix dans le monde. “Le MOCAA est une plateforme formidable pour susciter de nouveaux dialogues en Afrique, et avec le monde, acquiesce l’artiste sud-africaine Thania Petersen. Mais le plus important n’est peut-être pas tant ce qui se passe aujourd’hui que ce que cela aura produit dans dix ou vingt ans.” Et ce dialogue n’a rien d’unilatéral. Du point de vue occidental, le musée est aussi une opportunité. Celle de faire entrer de nouvelles perspectives dans une histoire de l’art encore trop américano et eurocentrée.