Les performances ballets d'Olivier Saillard à la Triennale de Milan
À rebours de la frénésie de la mode, Olivier Saillard construit, depuis 2018, une polyphonie de ballets hypnotiques, célébrant avec élégance un vêtement “émancipé de tout caractère commercial et consumériste, affranchi de toute perspective économique”, selon ses propres mots. Le vêtement y retrouve sa valeur émotionnelle : porteur d’histoires intimes, il évoque des moments chers et des personnes aimées.
Invité par la Fondation Cartier, pour ses Soirées Nomades, à la Triennale de Milan, l’ancien directeur du Palais Galliera et historien de la mode y proposait trois expériences hors du temps convoquant ce type d’émotions, dont "Les Vêtements des autres", présenté en première mondiale, fut l’acmé. Le principe choisi par Olivier Saillard, qui s’inscrit dans l’héritage de l’arte povera – ses performances ont pour titre général "Moda Povera" –, est simple : chaque spectateur est invité à venir avec un vêtement qui lui est cher.
Lors de la performance, ce dernier sera porté par une mannequin et ainsi “réactivé” au sein d’un défilé effectué en slow motion. Le désir de voir porter ces talismans doit monter lentement pour que l’euphorie soit complète lorsque la veste d’une grand-mère ou d’un amour éteint est enfin enfilée.
“Lorsque j’étais directeur du Palais Galliera, explique Olivier Saillard, un journaliste m’a demandé ce que je montrerais à un extraterrestre pour lui faire comprendre la mode. Je me suis aperçu qu’au musée j’avais des pièces magnifiques de Schiaparelli et de Balenciaga, mais aucun jean ou tee-shirt. Rien qui ressemble aux vêtements que portent les gens dans la rue. C’est une des raisons qui m’ont poussé à initier "Moda Povera".”
Le vêtement au cœur de l'œuvre d'Olivier Saillard
La célébration de cette mode universelle passe par un rituel millimétré, une procession religieuse rappelant celle du deuil : faire revivre l’être aimé ou un moment disparu, le temps d’une cérémonie collective, pour enfin passer à autre chose. Le vêtement, sacré le temps de la performance, est ainsi apporté par Olivier Saillard, tel le saint suaire, à la mannequin – placée sur un podium à l’instar d’une déesse grecque –, qui l’endosse avec délicatesse.
Tout y est question de valorisation de l’objet et de “care”, d’attention portée non pas tant au pull ou à la robe qu’à la personne qui les a apportés, manière d’affirmer collectivement qu’une histoire personnelle compte, que la joie ou la douleur d’une personne – symbolisée par un simple bout de tissu – a pleinement droit de cité. L’expérience est cathartique et place le spectateur au même niveau que les grands créateurs : les mannequins portant les vêtements ont défilé pour des grands noms de la mode.
L’enjeu est aussi démocratique et égalitaire. Les fantômes du passé sont encore à l’œuvre dans la performance "Les Vêtements de Renée", déjà présentée à Paris. Olivier Saillard use des techniques de haute couture pour déconstruire et reconstruire les vêtements de sa grand-mère disparue. Dans un face-à-face avec la mannequin Axelle Doué, qu’il habille de ses nouvelles pièces, se joue un autre rituel du souvenir et du deuil.
Mais c’est avec "Salon de couture", créé en 2006 et jamais “performé” depuis, que l’historien donne le plus à voir sa réflexion sur la mode. Tout le protocole scénique de la haute couture est là : les chaises de salon, les bouquets de fleurs, les descriptions des vêtements énoncés par la mannequin Violeta Sanchez, muse d’Yves Saint Laurent et d’Helmut Newton. Ne manque que les vêtements. Des fantômes auxquels notre imaginaire est appelé à donner forme.