J’ai découvert la musicienne et chanteuse en 1993 alors que j'étais fan de son mari, Kurt Cobain. À l’époque, j'étais vraiment dans une attitude grunge-no future-punk. J'étais en révolte contre à peu près tout et je m'habillais en jean troué et chemise à carreaux XXL. Je ne me reconnaissais pas du tout dans les idéaux hétéronormés des filles “bonnes” de ma classe et je ne voyais pas beaucoup de perspectives pour une fille comme moi, incapable de se conformer à la normalité acceptable par la société. Et puis, je me suis pris dans la figure cette gueule, cette voix, ce look, ces mélodies enragées.
C’était comme un cri primal qui résonnait au plus profond de moi, une main tendue façon uppercut, une lueur d'espoir dans un quotidien noir. Cette femme forte au comportement viril rugissait des choses que je n'avais jamais entendues, n’avait pas peur de la vulgarité, ni du “qu'en dira-t-on”. Au sein de son groupe Hole elle parlait de violence, d’image du corps, de lesbianisme, de beauté, d'inceste, de viol, de maternité ou encore de féminité comme jamais personne avant n'en avait parlé. Cette femme parlait aux femmes, sans détour ni mensonge.
“Heureusement, il y a Courtney Love. En particulier. Et le punk rock, en général, a écrit Virginie Despentes dans King Kong Théorie. Et heureusement, dans ma vie, il y a eu Courtney Love en particulier, et la musique en général.”
Dans la presse, son discours aussi donnait des ailes. Cette proche de la cause LGBT enchaînait les citations inspirantes : “Ne sois pas la groupie du capitaine de l'équipe de football, soit le capitaine !”, ou encore “je veux que toutes les filles viennent, se mettent à crier et s'emparent d'une guitare.” Quand elle n'insultait pas ouvertement ses congénères mâles pour leur arrogance. Le tout, sans jamais s'excuser.
C’est simple, Courtney Love donnait le courage d’être différente. Pas une petite fille douce soumise au regard et au désir des hommes. Elle était blonde, mais décolorée avec des racines noires. Son rouge à lèvres dégoulinait et ses robes d’écolière étaient sales. Ce look intitulé “kinderwhore” (mi-pute, mi-enfant sage), qui critiquait les prom queens américaines parfaites inspira, des années plus tard, Hedi Slimane et Marc Jacobs. Entre la féminité exacerbée d’une Blondie et l’attitude “gender fluid” de Patti Smith, Courtney inventa un genre trouble, inédit et sexy. Une autre voie possible. C'est aussi un modèle de résilience. Love a survécu à la mort de son mari, aux critiques publiques, à l’héroïne, aux années de strip-tease, aux maisons de correction, à la perte de la garde de sa fille et autres tours du destin.
“Entre la féminité exacerbée d'une Blondie et l’attitude gender fluid de Patti Smith, Courtney inventa un genre trouble, inédit et sexy.”
Mais surtout Courtney Love a montré qu’on pouvait être née fille et ne rien s’interdire. Être dans l’action, et pas dans la passivité. Crier, pleurer, monter au créneau et hurler sa vérité. Je voulais écrire sur la musique et non aller backstage tenter de séduire une rock star à tout prix. Je voulais faire un métier qui était dominé par les hommes. Love ouvrait le chemin au milieu d'un terrain macho (le rock), avec des paillettes, du glamour, de la rage et du soufre, au bout d’une route pavée d’embûches.
Aujourd’hui, des filles comme Scout Niblett, Brody Dalle, les Dum Dum Girls, Lana Del Rey (sa grande amie qu'elle interviewe ce mois-ci dans Dazed And Confused), Tove Lo et Sky Ferreira la citent comme muse. Et Miley Cyrus vient de lui pomper son look ainsi qu’un titre de chanson dans son dernier clip, “Malibu”. Mais beaucoup continuent de raconter que la blonde a tué son mari et qu’elle n’a aucun talent. Pendant qu'on adule Keith Richards pour avoir mené exactement le même genre de vie aussi flamboyante et débridée que Courtney. Le même genre de discours que ceux qui trouvent Brigitte Macron trop vieille pour son président de mari...
“Courtney Love”, de Violaine Schutz paru aux éditions Camion Blanc.